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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/128

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comme on dit… Par un phénomène dont on ne pouvait que se féliciter sans toutefois parvenir complètement à se l’expliquer, le cocher de la victoria avait si habilement sauté de son siège, en entendant (car il ne pouvait le voir encore) l’équipage du comte, qui roulait au travers de la rue d’Amsterdam, avec la rapidité et le bruit du tonnerre, qu’il s’était trouvé sur le trottoir, dans le moment que le dit équipage venait, de son essieu, renverser, briser, anéantir la victoria.

Disons enfin que le hasard, s’était complu à placer si malheureusement la victoria au coin de la rue de Berlin et de la rue d’Amsterdam, que tout son arrière, dépassant un peu la rue de Berlin, se présentait comme une véritable cible à un équipage emballé qui aurait remonté la rue d’Amsterdam ; car, encore, la victoria était stationnaire et venait de débarquer sur le trottoir la plus impressionnante demi-mondaine que Paris connût alors pour son charme à la fois tendre et fatal, Mlle Liliane d’Anjou, qui montrait toute l’apparence de la consternation.

Non que la perte irrémédiable de sa voiture et que le triste état dans lequel se trouvait un superbe demi-sang qui, blessé, se débattait à grand bruit dans l’emmêlement des traits, des harnais et des brancards éclatés, fussent susceptibles de la réduire au désespoir, mais bien évidemment l’idée seule que son aimable personne aurait pu, à quelques secondes près, se trouver mêlée à tout ce cruel et dangereux gâchis, devait augmenter dans des fortes proportions sa naturelle mélancolie.

Elle vit tout à coup que, devant elle, un monsieur fort correctement mis et d’un âge respectable la saluait très bas. Ce personnage exprimait sa honte et ses remords d’un tel accident et ajoutait qu’il était heureux, malgré tout, que l’affaire se bornât à des dégâts matériels, car jamais il ne se fût consolé si, par sa faute, il était arrivé le plus petit malheur à une aussi belle personne.

Liliane laissa dire le vieillard, leva ses adorables épaules que recouvrait une magnifique fourrure de chinchilla, eut une moue légère sous la voilette, comme pour faire entendre à ce monsieur, qui s’exprimait si bien en français, cependant que son accent trahissait une origine italienne, que cette histoire d’accident lui paraissait déjà bien vieille et qu’elle ne s’en occupait plus.

Mais le comte insista pour lui dire qu’elle ne pouvait rester ainsi sans équipage, ni retourner chez elle à pied ; aussi osait-il lui offrir l’hospitalité dans son propre coupé, ou plutôt mettait-il son coupé à la disposition de Liliane.

Teramo-Girgenti, disant ces mots, avait fait un signe et sa voiture était venue se ranger près du trottoir.

Liliane ne put retenir l’expression de son enthousiasme en apercevant les deux bais et tout l’admirable équipage du comte.