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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/166

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— C’est Prévost qui l’appelait comme ça, comme il appelait l’autre, le grand aux épaules carrées, « le substitut ». Oui, à ce qu’il paraît qu’il avait l’air d’un magistrat… C’est même pour cela que Prévost disait : « Un officier, un magistrat, un gros qu’on ne sait pas ce que c’est ! Ne nous mêlons pas de leurs affaires ! » Et il ajoutait en frissonnant : « Ils sont peut-être du gouvernement ! » Aussi, je vous prie de croire que nous faisions les morts ! Mais pas assez !…

— Revenons au jardinier, fit brusquement Pascal.

— Eh bien ! Le jardinier, dans la nuit qui a suivi le cri d’horreur, fit donc entrer dans le jardin sa charrette à bras, qui paraissait chargée très lourdement. Prévost et moi nous veillions, et nous avons été tout étonnés de ne pas le voir ressortir avec cette charrette. La porte ne s’est rouverte que le lendemain, à huit heures. C’était la première fois que nous la voyions s’ouvrir le jour. On l’a poussée d’abord tout doucement. Nous autres, nous étions cachés derrière nos rideaux. La tête du jardinier s’est montrée : il regarda en haut et en bas de la rue et puis, en face, chez nous, et, comme il ne voyait personne, il fit un signe derrière lui. Alors il sortit avec celui que Prévost appelait le substitut…

— Après ! après ! supplia l’ouvrier orfèvre d’une voix altérée… Vous êtes sûre que celui que vous appeliez le substitut est resté dans la maison toute cette nuit-là ?

— Il ne l’avait pas quittée depuis la veille… puisqu’il se montra sur le seuil du jardin, en chair et en os, avec le jardinier. L’apparition n’a pas duré longtemps. Le substitut a descendu la rue et le jardinier l’a remontée… Ils se cachaient la figure autant qu’ils pouvaient, et ils avaient raison, car ils n’étaient pas beaux à voir ! Ils étaient faits comme des voleurs ! Ils avaient de la boue partout, oui, partout… sur les chaussures, sur les vêtements, sur les joues, dans les cheveux ! Oui, de la boue partout… et il n’avait pas plu depuis au moins huit jours, comme me l’a fait remarquer ce pauvre Prévost, qui prétendait encore qu’ils avaient des figures d’enterrement ! Je veux dire des figures qui reviennent d’enterrer quelqu’un !

— Et la charrette, qu’est-elle devenue dans tout ceci ?…

— La charrette, nous ne l’avons plus jamais revue…

— Vous n’avez plus jamais revu rien ni personne ?…

— Ni rien, ni personne, conclut la mère Héloïse. À peu de là, mon pauvre Prévost est mort, emporté du poumon. J’ai quitté la maison de la rue des Saules pour la Mappemonde… De tout cela, je n’ai jamais rien dit à personne. Aujourd’hui encore, de vous en avoir parlé, j’ai peur du jardinier… Oh, mais j’oubliais ; le jardinier, je l’ai pourtant revu. Une seule fois et par hasard : le jour d’une fête, à Enghien où j’étais allée chez un ami de mon pauvre Prévost. Cet ami m’a dit que l’homme était domestique depuis toujours dans une grande famille de