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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/179

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de toute la troupe des fantômes immobiles, arbres séculaires qui dressaient vers les cieux leur geste d’immuable désespoir, un fantôme se détacha. Et c’était bien un corps qui semblait avoir surgi soudain de la terre et qui venait à son appel !

Le jeune homme, épouvanté, recula. Il recula dans le trou noir du vestibule. Il recula devant le fantôme qu’il avait évoqué et que lui envoyait sa mère ! De l’endroit où il se trouvait, il vit le fantôme blanc entrer dans l’ombre noire de la maison, et puis, plus rien. Si, des pas furtifs, qui semblent toucher la terre… Robert Pascal entend les pas du fantôme sur les marches de pierre qu’il ne voit pas. Et, soudain, le voici tout noir, plus noir que l’ombre même du vestibule, plus noir que la nuit. Il est debout sur le seuil.

Soudain, venu de la lucarne de l’escalier, le petit carré de lumière qui a quitté la marche, qui s’est promené sur le mur, et qui continue son chemin de rayon de lune, vient frapper en plein dans le visage du fantôme. Tout l’être de Robert Pascal vibre d’une allégresse divine, « hurle en silence » de joie triomphante, renaît à la vie de la vengeance, car sa mère a répondu ! Le fantôme qui est là ne vient point d’outre-tombe. Il sort du Palais de Justice ! Il s’appelle Sinnamari !

Oui, c’était bien Sinnamari. Qui l’avait amené là, lui qui n’avait pas mis les pieds dans ce lieu depuis vingt ans ? Quelle combinaison inouïe du hasard avait conduit les pas de cet homme pour qu’il se trouvât, par cette nuit anniversaire de son crime, à l’endroit même où le crime avait été commis, en face du fils de la victime ?

Pour un esprit qui avait « travaillé les superstitions » dans les livres de magie comme Robert Pascal, n’y avait-il point là une raison évidente de croire à l’intervention de « l’au-delà » ? En vérité, l’au-delà lui répondait. Il avait demandé à l’inconnu un signe palpable de son droit à la vengeance : pouvait-il en donner de plus tangible que celui-là ? N’était-ce point sa mère elle-même qui lui remettait son bourreau dans les mains ?

Il eut besoin de toute sa force d’âme reconquise pour ne point, sur-le-champ, bondir sur sa proie et la tuer sur le coup ! Mais il se rappela l’affreux martyre de sa mère, le supplice de son père, et il jugea que la vengeance eût été par trop simple s’il n’avait mis en face de tant de douleur, de désespoir, de désastres et de sang que la vie d’un homme ! Il lui fallait autre chose, autre chose, au roi des Catacombes ! Et il attendit, tapi au fond des ténèbres.

Sinnamari était donc arrivé au haut du perron… Cette nuit-là, il avait été étrangement travaillé, non point par le remords, mais par une sorte de pressentiment.

Les événements qui se succédaient depuis quelques semaines l’étonnaient par la persistance avec laquelle ils s’obstinaient à lui être désagréables. Les affaires les mieux conduites lui « claquaient » dans