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Page:Leroux - Le Roi Mystère.djvu/252

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cyniquement, et je ne suis pas un imbécile, je l’épouse pour ses millions…

» — Je ne connais pas celle qui vous offre des millions pour avoir l’honneur de porter votre nom, monsieur, et je ne connais pas davantage cette jeune femme qui, en face de moi, sur cette terrasse, achève de déjeuner entre son mari et ses deux petits enfants, mais je parierais tout ce que vous voudrez que vous pourriez lui donner les millions de votre femme que vous ne parviendriez point à la détourner de ses devoirs ! Je ne me trompe pas sur la vertu des autres, et cette femme est vertueuse !

» — Voyons le phénomène ! s’écria le substitut en se levant.

» Il repoussa sa compagne qui s’accrochait à lui et courut à la fenêtre. Les amis l’y suivirent.

» — Bigre ! firent-ils ensemble, elle est bien jolie !…

» La jeune femme qu’ils avaient en face d’eux était plus que jolie. Elle avait cette beauté simple des jeunes mères de famille quand elles sont heureuses. On sentait, en effet, on devinait que la beauté de cette femme, le rayonnement de son teint, le charmant éclat de ses regards, la parfaite harmonie de ses gestes, lui venaient pour moitié de l’amour de son mari qui était en face d’elle et du sourire de ses deux bambins qui ne la quittaient pas des yeux. Elle était mise avec un goût irréprochable et sûr que l’on retrouve à tous les degrés de la bourgeoisie féminine à Paris.

» On n’eût pu dire du mari si c’était un artisan ou un artiste. Son costume, sa silhouette, sa façon d’être, tenaient à la fois de l’un et de l’autre. L’aîné des enfants était un petit garçon fort éveillé, qui paraissait plein de malice et d’intelligence, et la petite fille, qui ressemblait étonnamment à sa mère, ouvrait sur le monde des grands yeux étonnés. Homme et enfants étaient groupés autour de la maman, qui leur racontait quelque histoire que l’on n’entendait pas, mais qui les emplissait d’aise.

» — Je parie, déclara avec un gros rire le magistrat, je parie que cette femme est à moi avant huit jours.

» — Et à moi aussi ! s’exclama l’officier.

» — Et à moi aussi ! fit entendre le fonctionnaire.

» — Non ! répliqua le magistrat. Non ! À moi tout seul ! Elle est trop jolie, je la garde !

» — Tu n’es qu’un égoïste, firent les deux autres, elle est à nous aussi bien qu’à toi ! Et tu n’as pas le droit de nous priver d’un morceau pareil !

» — Un morceau de roi !

» — Cette femme n’est à personne, messieurs, qu’à son mari, et elle restera à son mari ! conclut en haussant dédaigneusement les épaules