Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/22

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il relevait sur la victime des traces d’une lutte qui avait dû être acharnée… Les vêtements étaient en désordre, le col de la chemise était arraché, et dans sa main crispée M. de Lavardens tenait un morceau d’étoffe couleur tango… Aussitôt qu’il eut aperçu ce morceau d’étoffe, Alari s’écria :

— Mais c’est la cravate de M. Hubert !…

Et d’autres autour de lui répétèrent :

— Mais oui ! mais oui ! c’est la cravate de M. Hubert !…

— Vous en êtes sûrs ? questionna Jean d’une voix rauque.

— Ah ! si j’en suis sûr ! répéta Alari en se relevant… Et le père Tavan lui aussi en est sûr !… Pourquoi ne dis-tu rien, Tavan ?

Parce que ça commence à être des choses qui ne me regardent pas !

— Qu’est-ce donc qui te regarde ? lui demanda brusquement Rouletabille…

— « Moun jardin » ! répliqua l’autre, sûrement ce matin j’aurais mieux fait de rester dans « moun jardin » !

— Ça n’aurait pas empêché ton maître d’être un assassin ! s’écria Jean.

Tout le monde se ruait déjà derrière Jean dans la propriété d’Hubert ; on entendait par-dessus tous le vieil Alari qui répétait :

— Je l’avais bien dit ! Je l’avais bien dit ! « Tau qu’un bregand dans la fourest ! »

Quant à Rouletabille, il n’avait point suivi cette troupe. Bien au contraire, après avoir examiné rapidement toutes choses autour du cadavre, il se prit à courir du côté opposé, c’est-à-dire du côté de Castou-Nou.

Dans le vestibule, il retrouvait Estève, la femme de chambre, qui montait des cuisines, portant le déjeuner de sa maîtresse sur un plateau ; car tout ce que nous venons de raconter n’avait pas duré un quart d’heure.

Estève, en revoyant le reporter, ne put dissimuler un mouvement d’inquiétude :

— Quoi de nouveau encore, monsieur, que vous voilà, le visage tout à l’envers ?

— Monte ! je te suis !

Elle haussa les épaules, agacée, et gravit l’escalier.

— Tu vas dire à ta maîtresse qu’il faut que je lui parle, tout de suite !…

Elle voulut répondre quelque chose, mais Rouletabille la regarda d’un air qui lui ferma la bouche. Alors elle frappa à la porte de la chambre et entra. Elle en ressortit presque aussitôt toute pâle, mais essayant de dominer une émotion trop visible, et faisant des efforts pour affermir sa voix :

— Mademoiselle vous verra bientôt ! Mademoiselle ne peut pas vous recevoir tout de suite !

Rouletabille la bousculait, ouvrait la porte d’autorité et se trouvait dans la chambre d’Odette.

La chambre était vide… Le lit n’avait pas été défait…

Le reporter se retourna d’un bond vers Estève, qui voulut fuir ; mais il l’avait saisie au poignet et, refermant la porte, il lui dit :

— À nous deux maintenant !


VII. — Estève

— Qu’est-ce que j’ai fait ?… Qu’est-ce que j’ai fait ?… s’écria l’Arlésienne au comble de l’épouvante…

— Je te jure que tu vas me le dire !… lui jeta Rouletabille dans la figure… D’abord, tu savais que ta maîtresse n’était pas dans sa chambre ! Ne mens pas ! tu nous as trompés !

— Je te jure, moun Dieu, que je croyais mademoiselle dans sa chambre ! Ô se-