Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/32

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dians qu’il régalait à l’auberge des Saintes, il avait déclaré qu’Odette de Lavardens serait sa femme ou qu’avant peu, on verrait du nouveau en Camargue !… Ces propos étaient venus à l’oreille d’Odette, d’où ses lettres, ses dépêches affolées à Jean…

Décidé à tout brusquer, l’avant-veille du crime, Hubert se rendait chez M. de Lavardens, mais ici nous rentrons en plein dans le drame et nous laisserons la parole à l’inculpé…

Disons tout de suite que la confrontation d’Hubert avec le cadavre de M. de Lavardens n’avait en aucune façon modifié la façon d’être du jeune homme… Il avait regardé d’un œil sec et même hostile ce corps ensanglanté, avait reconnu sans difficulté sa cravate dans le morceau d’étoffe tango, mais avait déclaré qu’il était innocent…

— Je vais vous dire, fit-il, ce qui s’est passé à ma connaissance ; quand j’aurai fini, vous en saurez aussi long que moi, mais pas ici ! Je pourrais rester mille ans devant ce cadavre que je ne vous dirais pas que c’est moi qui ai fait le coup ! Je vous répète que je suis innocent ! que cela soit entendu une fois pour toutes !…

Quelques instants plus tard, il faisait le récit suivant au juge dans une pièce du château où on l’avait transféré :

— Avant-hier, je suis venu au Viei Castou Nou ; j’y ai trouvé M. de Lavardens et Mlle Odette. Mlle Odette voulait se retirer. Je l’ai priée de rester, parce que j’apportais quelque chose pour elle… et je lui demandai de bien vouloir accepter un souvenir de mes voyages… C’était un bijou assez rare, un collier qui supportait un motif oriental que M. de Lavardens et sa fille admirèrent. Mais je n’étais pas venu pour cette bagatelle…

» Il y a quatre ans, dis-je à M. de Lavardens, lorsque je vous ai demandé la main de Mlle Odette, vous m’avez dit qu’elle était trop jeune et que j’étais trop pauvre, mais, après l’avoir consultée, vous avez fini par me répondre que si, dans quatre ans, je devenais riche et que Mlle Odette voulût toujours de moi, elle serait ma femme !… Les quatre ans sont passés ; je suis revenu riche… Je suis prêt à faire la preuve de cette fortune, et j’aime Mlle Odette plus que jamais !

» En m’entendant parler avec cette franchise, Mlle de Lavardens n’attendit même point un signe de son père pour se lever et s’éclipser, mais elle avait entendu ce que je voulais qu’elle entendît, c’était le principal et je restai donc seul avec le père qui prenait des faux-fuyants : « Votre brusque mise en demeure nous surprend ! Vous comprenez qu’il faille le temps de la réflexion ! » et autres balançoires… Ce n’était pas la première que l’on me servait depuis mon retour ; je n’étais pas content non plus de la façon dont Mlle de Lavardens nous avait quittés, vu ce qui avait été entendu autrefois entre nous… Moi, je n’ai pas l’habitude de mâcher mes paroles… je vous avouerai que ma patience était à bout… Je dis au vieux, carrément : « Je me suis expatrié… j’ai fait fortune !… je réclame mon dû !… » Là-dessus, le père s’est levé la figure mauvaise et m’a déclaré :

» — Rien ne vous a été promis… je dois vous apprendre que ma fille est fiancée à M. de Santierne !…

» J’ai reçu le coup dans l’estomac… C’était dur, bien que je m’y attendais depuis quelque temps ! J’ai salué et j’ai fichu le camp ! Je ne vous dirai pas les heures que j’ai passées depuis… qu’il vous suffise de savoir que je n’étais pas décidé à rester là-dessus… c’est alors que j’ai envoyé la lettre que vous savez à Mlle Odette… J’étais fou de penser qu’elle viendrait à mon rendez-vous !… Je l’ai attendue quelque temps et puis je suis rentré chez moi. Tout à coup j’entends du bruit dans le jardin… La porte est secouée… je l’ouvre et je me trouve en face d’une vrai bête sauvage !…