Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/77

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ce que j’ai à vous dire ne manque point d’importance !… Hubert avait, paraît-il, à l’ordinaire, sur son bureau, une sorte de couteau-poignard très aigu que l’on ne retrouve nulle part !…

— Parce que vous le cherchez mal, monsieur le juge !… Mais, je vous le répète, ce n’est pas Hubert qui a fait le coup !

— Enfin, si ce n’est ni l’un ni l’autre, me diriez-vous qui ?

— Vous le saurez demain matin… Transportez-vous au Cabanou, faites-y amener Hubert et donnez rendez-vous aux médecins légistes !

— Et vous me promettez ?…

— Le nom de l’assassin de M. de Lavardens !


II. — L’assassin

Le lendemain matin, comme l’avait désiré Rouletabille, le parquet se retrouva au Cabanou, avec Hubert… En attendant le reporter, M. Crousillat fit subir à l’inculpé un nouvel interrogatoire et des plus serrés. Il eut la joie de voir pâlir Hubert dès qu’on lui parla de son couteau-poignard ; mais aussitôt que celui-ci eut la certitude qu’on n’avait pas retrouvé cette arme avec laquelle il eût pu avoir assassiné M. de Lavardens, son trouble cessa. Son changement d’attitude fut tellement visible que le juge se mordit les lèvres et regretta de n’avoir point commencé par déclarer à l’inculpé qu’on avait retrouvé l’arme du crime. « Je viens de faire une grosse bêtise que n’aurait point commise Rouletabille », se dit-il. En tout cas, il regretta que le reporter n’eût pas été là pour assister aux premiers égarements d’Hubert.

Enfin on vint l’avertir que Rouletabille était arrivé avec les médecins légistes et l’attendaient dans le parc de Viei Castou Nou, à l’endroit même où l’on avait trouvé le cadavre de M. de Lavardens.

M. Crousillat, suivi de loin par M. Bartholasse, qui ne cessait de bougonner contre les exigences de Rouletabille et les complaisances du juge, arriva en courant. Au fond on apercevait les gendarmes qui amenaient Hubert.

— Eh bien ? questionna M. Crousillat du plus loin qu’il vit le journaliste.

— Eh bien ! ces messieurs apportent leur rapport…

— Il ne s’agit point du rapport de ces messieurs qui ne peut rien nous apprendre de nouveau ! Leur rapport ne fera pas que M. de Lavardens n’ait été assassiné !

— Pardon ! monsieur le juge. Ces messieurs concluent que M. de Lavardens a succombé à une attaque cardiaque.

— Une attaque cardiaque !… messieurs !… s’exclama le juge en regardant tour à tour ces messieurs et Rouletabille… mais que faites-vous donc de la blessure à la tempe !

— La blessure à la tempe n’empêche pas, répondit l’un des médecins, que M. de Lavardens ait succombé à une attaque cardiaque !…

— J’y suis ! reprit M. Crousillat qui faisait des efforts intellectuels gigantesques pour concilier l’idée de l’assassinat et les conclusions des médecins, j’y suis ! Le ravisseur de Mlle Odette a attaqué et blessé M. de Lavardens ! L’émotion a tué celui-ci et l’assassin a transporté le corps à cette place !