Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/79

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là, considérant toutes choses du coin de l’œil ; on lui emprunta ses tenailles et l’enquête s’enrichit de sa plus importante pièce à conviction. Dès ce moment, du reste, on ne pouvait plus douter (et les médecins légistes proclamaient hautement leur avis) que toute l’affaire se fût déroulée comme venait de le conter Rouletabille !…

— Eh bien ! s’écria M. Bartholasse, il s’est bien fichu de nous !…

— Qui ? demanda M. Crousillat en s’épongeant le front.

— Mais votre Rouletabille, répondit le greffier. Puisqu’il savait que c’était le clou le coupable, pourquoi ne nous l’a-t-il pas dit plus tôt ?

— Ça, c’est vrai, acquiesça M. Crousillat en se retournant vers le reporter… Vous êtes impardonnable !… Et ce n’était pas la peine de me faire arrêter monsieur (il montrait Hubert) si vous le saviez innocent !…

— Rendez donc service à la justice ! repartit en riant Rouletabille, voilà comment vous en êtes récompensé !… Mais, mon cher monsieur Crousillat, vous n’oubliez qu’une chose… C’est que, pendant que M. de Lavardens était chez M. Hubert, on enlevait Mlle Odette ! et que je voulais savoir si M. Hubert, innocent de l’assassinat de M. de Lavardens, n’était pas complice de l’enlèvement de sa fille !… En laissant planer sur lui l’accusation d’assassinat, je le forçais en quelque sorte à avouer un moindre forfait pour se disculper d’un crime !… Pour tout le monde, c’est-à-dire pour tous ceux qui pouvaient avoir quelque chose à dire sur l’enlèvement de Mlle Odette, il convenait de laisser planer cette menace que constituait l’assassinat de M. de Lavardens, non seulement pour Hubert, mais pour les bohémiens, pour Andréa, pour Callista et même… pour le père Tavan que voici et que j’ai soupçonné d’en savoir plus long que son nez, qui n’est pourtant point très court !

Hubert, qui avait assisté en silence à toute cette scène, interrompit les rires que les derniers mots de Rouletabille avaient déclenchés :

— Et maintenant, messieurs, qu’allez-vous faire de moi ?

— Mais, mon cher monsieur Hubert, fit entendre le reporter, on va vous remettre en liberté.

Le greffier sursauta :

— Ça, par exemple !

M. Crousillat considéra M. Bartholasse d’un œil sévère :

— Que voulez-vous que nous en fassions, maintenant, monsieur Bartholasse ? Je crois que malgré sa qualité de journaliste, le nommé Rouletabille vient, cette fois, d’émettre un avis qui me paraît assez juste !…

— Dans tous les cas, répliqua le greffier hors de lui, que l’on mette ou non en liberté l’inculpé, cela ne le regarde pas !… Et si vous me faisiez, à moi, monsieur le juge, l’honneur de me demander mon opinion, je vous dirais tout de go que je ne relâcherais pas M. de Lauriac avant que l’on ait retrouvé son couteau-poignard.

— S’il n’y a que cela pour vous faire plaisir ! exprima le reporter, je vais vous le dire, moi, où il est, ce couteau-poignard !…

Hubert ne fut point le dernier à suivre Rouletabille qui, d’un geste, avait entraîné tout son monde dans lou Cabanou et cet empressement ne passa point inaperçu du journaliste.

Quand toute la petite troupe se trouva réunie dans le bureau où s’était déroulée la