Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/81

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» Je suis tellement effaré à cette « sortie » que je ne trouve d’abord rien à lui répondre. Décidément, il va être bien difficile de continuer à travailler avec ce garçon-là. Il passe son temps à m’embrasser ou à me maudire, et ça ne fait pas avancer la besogne !… Je lui demande de préciser sa pensée et de me dire une fois pour toutes ce qu’il a sur le cœur, mais il réplique à côté :

» — Puisque tu étais absolument sûr qu’elle eût été enlevée par les bohémiens, ne devais-tu pas donner son signalement à la haute police ? Je comprends que tu te sois garé de ce maladroit de Crousillat, mais tout de même, il y a des gens en France qui eussent pu nous aider à la retrouver.

» — Parfaitement, fis-je… la douane !…

» — La douane ?

» — Mais oui, la douane !… Je suis sûr que les bohémiens vont tout tenter pour faire franchir à Odette la frontière…

» — Et alors ?

» — Et alors, comme je suis au mieux avec un haut fonctionnaire de l’administration centrale, je l’ai prié de donner par téléphone des ordres en conséquence, en lui recommandant bien que ces ordres soient exécutés avec la plus grande discrétion, de façon à ne pas donner l’éveil aux bohémiens autant que possible…

» — Voilà la première parole qui me tranquillise un peu, Rouletabille…

» — De telle sorte que depuis quatre jours on arrête aux frontières toutes les roulottes qui se présentent pour passer.

» — Et l’on n’a rien trouvé ?

» — Et l’on ne trouvera rien !…

» — Ah ! je te retrouve bien là, toi !… tête à gifles (textuel) alors pourquoi as-tu fait donner ces ordres ?

» — Pour te faire plaisir !… pour pouvoir te répondre quelque chose quand tu m’accuses de ne rien faire pour retrouver Odette… Enfin pour que les imbéciles n’aient rien à me reprocher !…

» — Merci ! fit Jean.

» — Il n’y a pas de quoi ! mais comprends donc que si l’on ne trouve pas Odette, c’est pour la raison simple que les bohémiens ne la cacheront pas !… Ils n’ont pourtant pas lu Edgard Poë, mais ils sont au moins aussi forts que l’auteur de la Lettre volée, cette lettre que l’on cherchait partout et qui était exposée à tous les regards… Avec quelques oripeaux, des médailles sur le front et de larges anneaux aux oreilles, Odette aura tout ce qu’il faut de la cigaine pour n’éveiller l’attention de personne…

» — Mais enfin ! elle n’aura qu’un cri à pousser ! qu’un geste à faire !…

» — Elle ne criera point et ne remuera point… elle dormira… ou tout au moins elle somnolera… elle rêvera… peut-être à toi, Jean !… car sache bien que ces gens disposent de tous les maléfices qui engourdissent la volonté, de tous les baumes qui apaisent la douleur… Douaniers et gen-