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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/9

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» En un instant, continua Rouletabille, je fus terrassé, bâillonné, transporté dans ma chambre, ligoté avec mes draps, réduit à l’impuissance. Ils avaient éteint naturellement toute lumière ; mais je les sentais grouiller encore autour de moi. À quelle besogne obscure se livraient-ils ? Tout à coup, le timbre de la porte d’entrée retentit et ils disparurent comme une volée de vilains oiseaux nocturnes.

» On donnait de forts coups de poing dans la porte et j’entendais la grosse voix de mon camarade La Candeur qui me criait :

» — C’est moi ! Ouvre-moi, Rouletabille ! On a besoin de toi au journal… On ne peut plus te téléphoner. Pourquoi as-tu décroché l’appareil ?… Le patron est furieux !

» De mon côté, je faisais des efforts inutiles pour me libérer, pour me faire entendre. La Candeur redescendit en jurant. À la réflexion, je ne fus pas fâché qu’il ne m’eût point vu dans cet état !… Moi, Rouletabille, m’être laissé surprendre ainsi… J’étais honteux, vexé ! Voilà le sentiment qui dominait maintenant en moi ! C’est mon domestique qui m’a délivré ce matin. Je l’ai menacé du bagne s’il parlait jamais, et quant à toi, je compte bien que tu ne voudras pas me déshonorer !

— Mais enfin, que signifie une pareille agression ? questionna Jean qui oubliait ses propres préoccupations au récit de cette singulière aventure.

— Ah ! voilà ! fit Rouletabille en montrant d’un geste large son studio bouleversé, j’ai cherché… On est venu certainement ici pour me voler des documents… mais lesquels ?… Après inventaire, il ne m’en manque aucun ! J’ai pu croire un instant qu’il y avait un lien entre l’événement de cette nuit et mon article d’avant-hier sur les scandales de la Société du Bengale, mais le dossier est au complet… Mystère !…

— Tout de même, tu dois avoir une idée ! Ces gens, tu as pu les entrevoir !…

— Oui ! une seconde !… mais ils ont fait l’obscurité tout de suite, tu penses !…

— Et comment étaient-ils faits, tes voleurs ?

— Comme des voleurs !… Trop comme des voleurs !… des mines affreuses, trop !… Trop de vêtements sales !… Trop d’horribles casquettes !…

— Par où sont-ils passés ?…

— Par le balcon… l’appartement d’à côté est vide. Ils y avaient pénétré par l’escalier de service. Ici, ils ont scié un volet, fait sauter un carreau… c’est simple !…

— Et tu ne vas pas avertir la police ?

— Non !…

— Et tu ne soupçonnes personne ?…

— Si !…

— Qui ?…