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SUR MON CHEMIN

le malheureux gît, à demi-mort, criblé des flèches du bourreau Costa. Elles marquent d’abord, pendant toute la durée du supplice, le plaisir qu’elles y prennent par les mines qu’elles font, les sourires qu’elles s’adressent et l’ironie de leurs regards. Elles agitent leurs éventails en signe de joie et braquent leurs lorgnettes sur la figure décomposée de la victime. Et puis, peu à peu, elles s’excitent par de brèves exclamations d’allégresse, par de légers trémoussements d’aise, par de petits battements de mains en cadence qui les mettent en train. Enfin, le bourreau Costas se distingue par un coup terrible, donné à propos des petites amies de M. Lavedan, « les braconnières d’amour en corset ». Il dit, et c’est le trait fatal sous lequel l’autre succombera : « Sur quel invraisemblable volet avez-vous pu, monsieur, trier ce joli monde ! »… Et c’est le signal des transports, des bravos enthousiastes et des acclamations délirantes. Elles sont vengées ! Et l’autre se meurt… On l’emporte.

Ou du moins j’estime qu’on l’emporte, car je fuis ce spectacle attrayant et sanguinaire. Ce faisant, je me heurte à l’un des lions de l’Institut et, le prenant pour un sphinx, je l’interroge :

— M. Lavedan se vengera-t-il un jour ?

Le lion me répond en ce langage particulier aux sphinx : — Le vieil immortel mourra… Alors le vieux marcheur marchera.