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antoine déchainé

— Le cocher arrive, dit le type.

— Et toi, demande Antoine, d’où arrives-tu ?

— : D’Amérique, répond l’autre, avec tout l’accent de la Camargue.

— Ça y est !… fait Antoine, je vous l’avais dit ! Puis le regardant mieux :

— C’est un type formidable ! Je vais l’engager et le faire tourner. Régisseur !

— Patron ?

— Tâchez donc de m’engager ce type-là, qui ne doit rien f… dans la vie. Il portera nos accessoires et les appareils. Hein ? Puis écrivez vos lettres d’ici le dîner. Dès que les crabes arriveront, vérifiez les habits, les chaussures ; on commence à tourner demain matin, n’oubliez pas ça, j’y tiens absolument… Ah ! voilà le cocher. Enfin ! Pas pressé le cocher ?… Nom de Dieu, que j’ai mal aux reins !… Cocher, vous allez me balader par la ville, comme si j’étais un cadavre, vous entendez, respectueusement. Je veux aller au tout petit pas.

Nous partons. Il fait des grimaces :

— Je suis foutu… Je suis trop vieux… Je ne peux plus faire ce métier-là… Seulement, je n’ai pas le sou, il faut bien que je trime ! Arrêtez, cocher ! Arrêtez !… Regardez-moi ça si ce n’est pas beau !… Pas vous !… Vous, repartez… pas si vite ! Oh ! je vais crever sur ces pavés romains. Cocher, sortez-nous donc de cette rue, bon Dieu ! Je yeux voir les ruelles ; menez-nous dans les ruelles, ce qu’il y a de plus sale et de plus fripouillard. Le cocher s’épanouit :

— Le pavé, monsieur, ne sera pas meilleur.

— Je me fous du pavé ; je suis la pour un film. Faites ce qu’on vous demande, mon vieux… et ne raisonnez pas.

Nous descendons vers le Rhône. Soudain il crie :

— Ça y est ! J’ai ce que je veux ! Magnifique ! Benjamin, regardez ça !… Et vous, arrêtez-donc,