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antoine déchainé

nom de Dieu… puisque vous m’entendez gueuler que c’est admirable !

Il descend et geint :

— C’est le dernier film que je fais. Je vais y rester. Je vais m’effondrer tout d’un coup. Ça peut d’ailleurs être épatant. Si l’opérateur n’est pas une huître, il tournera ça : Antoine râlant sur les routes… Ça peut faire de l’argent. Tous ceux qui n’ont jamais pu me sentir en vie viendront me voir crever !

Il remonte dans la voiture.

— Emmenez-nous, cocher ! Plus vite ! Je veux voir les bords du Rhône. Pourquoi est-ce que vous me regardez ? Regardez-donc votre cheval, mon ami ! Vous connaissez le Rhône ? Eh bien, menez-nous-y !

Il se renverse sur la banquette. Nous voici sur le quai. Nous arrivons au pont.

— Ah !… ah ! bon Dieu ! s’écrie Antoine, ah ! les salauds !

Son mot habituel et expressif s’adresse cette fois aux ingénieurs qui, il y a cinquante ans, ont eu l’audace pédante et nuisible, de jeter une épaisse ferraille d’une rive du Rhône à l’autre. Il répète, en accentuant :

— Les salauds ! Activez, cocher ! C’est immonde ! Au galop, mon vieux !

— Ah ! fait le cocher, sur les ponts, l’ordre est d’aller au pas.

Cette fois, Antoine rit.

— Quelle société !… Menez-nous au ponton de débarquement.

— Monsieur…

— Quoi monsieur ?

— il n’y en a plus ! Il n’y a plus de bateaux de voyageurs sur le Rhône comme au temps de Daudet.

Antoine tique à cette phrase, et me souffle :