Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/169

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morale ce pauvre cœur d’enfant qui ne demandait qu’un sourire pour être heureuse. Autoritaire, vindicatif, soupçonneux, sans une qualité compensatrice, il l’eut certainement conduite au suicide, m’avait-elle souvent raconté, si je n’étais intervenu. Chère Rolande ! toute ma raison de vivre... Je l’avais pour la première fois rencontrée chez des amis communs, les Chabrol, où, en septembre, son mari l’avait laissée pour aller suivre une chasse à courre ; mais on se confiait sous le manteau que cette chasse n’était point dans les forêts, tout au plus dans un poulailler. Je n’avais donc eu qu’à cueillir ce pauvre cœur en souffrance. O l’éveil d’un amour qui ne veut pas s’avouer, mais que la rougeur au visage trahit à votre approche ! O les premiers aveux qui ne sont que des accords tacites, quelquefois des murmures, mais d’une harmonie si divine !...

Elle m’avait donné toutes ces virginales prémices du cœur, et je lui en étais aussi reconnaissant que de m’avoir livré plus tard les trésors de son être. Dès notre retour à Paris, elle accourut chez moi et s’offrit, dans un transport en quelque sorte sacré. Loin de nous apaiser, nos rencontres ne firent qu’exaspérer notre besoin de partager la vie. En sorte que nous venions tout récemment de prendre la résolution de tenter le bonheur ensemble ; et si elle m’avait voulu, malgré ma résistance, à ce dîner, c’était, précisément, pour que je débutasse une amitié avec ce ménage Chabrol, où elle comptait faire un séjour une fois rentrée chez ses parents pour divorcer.

— Les Chabrol... me fit-elle souvenir. Je me dirigeai vers nos futurs hôtes, pour les entreprendre. Mais je ne pus les aborder. Ils faisaient cercle en ce moment autour du professeur Tornada, pris à parti par une corpulente dame à allure ultra-masculine, mise d’un frac comme les messieurs, et portant une perruque d’un blond