Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/172

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craignait d’en avoir trop dit. Le champ m’était dès lors ouvert, et je m’adressai à l’assistance.

— Quel malheur, m’écriai-je, que ces pratiques se doivent borner aux batraciens et qu’elles ne puissent se porter sur les humains ! C’est alors que nous assisterions à d’étranges quiproquos, n’est-il pas vrai, mesdames ?

Ma question détermina un brouhaha. Chacun donnait son opinion sur l’opportunité d’une si curieuse modification, et, dans le bruit des voix, je distinguai le contralto de la baronne qui prenait naturellement parti pour la personnalité virile ; tandis que les Chabrol, un ménage tendrement uni, exprimaient leur désir de rester dans le statu quo. J’entendis encore mademoiselle Blanche Férette, une jeune universitaire, munie de plusieurs diplômes, déclarer que les hommes étaient les plus favorisés. Elle était pourtant bien jolie, mademoiselle Blanche Férette, et sa grâce et son charme lui donnaient un pouvoir qu’elle ne devait pas soupçonner pour poser aussi catégoriquement ce principe. Puis ce fut madame Savari, la belle cantatrice de l’Opéra-comique. Elle vanta sans réserve le bonheur d’être femme. Fleur splendide épanouie dans le calice d’une robe outrageusement décolletée, son regard, tandis qu’elle parlait, ne quittait pas le compositeur Rimerai, un jeune arrivé, aux yeux braisillants, dont elle était l’amie. Ses dents éclatantes croquaient en ce moment les droits d’auteur de nombreuses opérettes aussi légères que banales, mais favorisées du succès.

Quand le bruit des voix fut un peu calmé, je pris un malin plaisir à interroger individuellement plusieurs autres couples et chacun se déclara regretter de n’être pas batracien, d’où je conclus que tous ces gens-là n’étaient pas heureux dans leurs amours.