Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/189

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ma littérature, je garderai, par devant mes lecteurs, mon genre masculin. Et je continue, en Georges que j’étais, et non point en Georgette que venait de me fabriquer Tornada.

Seul à nouveau, dis-je, mon premier mouvement ne fut point, comme on pourrait le croire, de remuer des pensées profondes sur ma transformation, ni même de tâcher à concevoir l’avenir qu’elle me réservait dans mes rapports avec Rolande ; mais bien de me livrer tout de suite à une constatation purement esthétique. Je bondis hors de mon lit avec une vigueur surprenante pour un récent opéré et je gagnai le cabinet de toilette voisin, où Tornada avait reporté le miroir. Mais, en plus de ce miroir, il y existait une glace à trois pans, qui allait me permettre de m’examiner sous toutes les faces. Je me dépouillai hâtivement de la jolie combinaison en soie rose, garnie de dentelles, dont on m’avait affublé, et ma nouvelle forme se révéla dans une perfection bien faite pour impressionner l’artiste que j’étais, l’artiste épris des lignes. Quelle splendeur !... J’offrais l'harmonie d’une Ève aux plus purs contours, au point que si je n’avais pas été peintre j’eusse aussitôt rêvé de servir de modèle. Ma structure se déployait selon le rythme souverainement beau de ces nymphes que réalise Boucher, avec des jambes parfaites, des hanches évasées, des seins globuleux sans excès, et une attache du cou d’une délicatesse et à la fois d’une puissance incomparables. Ah ! que je me promettais de longs émerveillements en contemplation de moi-même ! En cet instant, je bénissais Tornada ! De sa profanation, nulle trace, ou du moins la nature se chargeait de la voiler. J’admirais sans réserves sa science, son habileté, qui étaient parvenues en si peu de temps à m’adapter des tissus étrangers, à rejoindre les chairs, et surtout à modeler tout le reste de l’organisme d’après une modification