Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/190

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partielle. J’étais un chef-d’œuvre ! et mon sens esthétique s’en exaltait !... Me rapprochant de la glace, je fis saillir orgueilleusement mes hanches, je tâtai mon cou, ma croupe ; je fis flamber mes yeux, étinceler mes dents, je crois même que je me souris, et que tout ce sourire était pour Tornada...

Mais quand je revins dans la chambre, mon exaltation tomba du coup. Il y avait là, sur un fauteuil, disposée pour que je m’en vêtisse, une hivernale toilette féminine ; on l’avait apportée tandis que je m’examinais à côté ; et la vue de ce manteau de fourrure, de ce tailleur de coupe parfaite, de ce chapeau à large bord parcouru par une plume de prix, de ces bottines en daim gris et de ces longs gants noirs ranima ma douleur de devoir ainsi paraître devant Rolande. Quelle conduite avec elle ? Que faire, que lui dire, qu’imaginer ? Et les chers projets de libération que nous avions concertés ? Pauvre bien-aimée ! Comme elle allait souffrir, plus que moi peut-être, du geste insensé de Tornada !...

Je tombai sur un siège et me mis à pleurer. Une main se posa à cet instant sur mon épaule. Je relevai la tête et reconnus l’infirmière. J’oubliai que j’étais une femme. Une instinctive pudeur, du reste dans mes mœurs, me fit faire un mouvement de chaste protection, en amenant sur moi le costume qui m’attendait.

— Que mademoiselle ne s’effarouche pas... Nous sommes du même gynécée... et que mademoiselle se console... on s’y fait.

Je ne conçus pas, à ce moment, la valeur de ce langage mystérieux. Et je ne cherchai pas à le comprendre.

— Que venez-vous faire ici ? demandai-je avec aigreur.

— Je suis envoyée pour habiller mademoiselle, qui ne saurait peut-être pas toute seule.

J’étais assez entré dans la peau d’une femme,