Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/192

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reprise du tramway, était le plus ardent à m’observer. Il portait des besicles et devait se contorsionner pour que sa presbytie s’en accommodât. Comme il était, au surplus, surveillé par une épouse aussi importante que lui, sa défiance d’un coté et son émerveillement de l’autre aboutissaient à un manège si comique que je ne pus retenir un sourire. Il prit ce sourire pour un consentement ; en sorte que, lorsque le tramway arriva place Saint-Augustin, où je descendais pour regagner mes pénates, il planta là carrément sa moitié et me suivit.

J’allais sans tourner la tête. J’entendais derrière moi ronfler son emphysème, accru par la poursuite. Il m’aborda enfin :

— Mademoiselle... Madame... souffla-t-il.

Puis, collant ses bajoues près de mon visage :

— Mademoiselle ou madame ?

— Ni l’un ni l’autre, monsieur.

— Ah !... N’importe... mettons : déesse, alors. Et dites-moi, déesse, où m’emmenez-vous ?

— Mais, nulle part, monsieur.

— Ah... je croyais... Je né vous plais donc pas ?

— Non, monsieur, vous me dégoûtez.

— Ah !...

Il fit aussitôt demi-tour, en me saluant du vocable par quoi on désigne le quadrupède ruminant qui a deux bosses sur le dos.

Enfin ! je me trouvai devant ma porte. Il me fallut une espèce d’héroïsme pour m’engager sous le porche. Il m’apparaissait que je franchissais la ligne de démarcation d’un destin nouveau : qu’allait-il en advenir ?...

Allons ! je m’engageai résolument vers mon rez-de-chaussée.

— Où allez-vous ?... me cria une voix sans pitié.

Le concierge ! Il sortait de sa loge. Ne m’ayant encore aperçu que de dos, il s’inquiétait, cet