Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/193

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homme. Mais quand je me retournai, sa face s’imprégna d’un parfait ahurissement.

— Oh !... ce que vous lui ressemblez !...

— À qui ?

— À votre frère. Comme qui dirait une mouche et une mouche !

Puis il s’étendit, en un verbiage émaillé, sur l’héritage qui avait si soudainement exigé le départ de M. Georges.

— Je ne l’ai pas revu, figurez-vous, mam’zelle ! Il a pris son campo la nuit, et va donc te lui dire au revoir !... lui qu’était si pas fier avé nous, on le regrette, que vous pensez !... Mais a reviendra bientôt, faut croire ?

Et, m’ouvrant la porte :

— Les bagages de mam’zelle sont rentrés.

— Ah ! mes bagages... Laissez-moi, je vous prie.

J’avais besoin d’être seul au moment d’une émotion sacrée, lorsque je rentrais dans le nid où tant de fois Rolande était venue s’abriter. Que d’objets l’évoquaient !... Tout était imprégné d’elle. C’était ce vase de Chine, encore habité par les fleurs qu’elle m’avait apportées à sa dernière visite, des iris mauves, jetant un reste d’éclat parmi d’autres fleurs éteintes, comme s’ils eussent attendu ma rentrée avant de mourir, pour me parler d’elle une dernière fois. C’était la fine bonbonnière de Venise, à moitié pleine de chocolats, d’amandes, que nous croquions bouche à bouche, tandis qu’elle luttait de ses dents étincelantes pour emporter la plus grosse part, et qu’un rire fou la soulevait lorsqu’elle y réussissait. Douce préparation aux ivresses qui nous menaient au grand lit vite débarrassé des couvertures ... et c’était encore son portrait, tracé de ma main fervente, où je retrouvais le tendre sourire de ses yeux, qu’elle n’avait que pour moi, où elle me livrait son âme entière. Tout ce bonheur était