Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/200

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rer son esclave, dans ces fonctions essentielles où l’homme prétend le plus garder sa volonté.

À nouveau, je pensai tout révéler à Rolande pour lui demander de prendre mon parti, m’en faire une alliée, et me dresser avec elle contre les embûches qui allaient être tendues à notre amour. Mais la singularité de ma situation menaçait tout d’abord de me faire passer pour fou à ses yeux ; jamais elle ne croirait à la transmutation d’un homme en femme ; et, en supposant qu’elle y crût, je redoutais plus encore le ridicule dont elle me couvrirait immanquablement, le ridicule qui tue les sentiments élevés, et particulièrement l’amour. Du reste, la curiosité, plus encore que la prudence, me rivait au secret, me conseillait au moins d’attendre, afin que, devenu l’entier confident de ma maîtresse par la parité de nos sexes, elle me livrât progressivement la vérité de son cœur et m’introduisit complètement dans le parterre où était éclose la fleur de notre tendresse. Si parfaitement unis que nous ayons été, réfléchissais-je, si partageurs de notre âme et de nos sens, il est certainement des impressions, des nuances, des critiques qu’elle m’a laissé ignorer ; et puisqu’il n’y a pas encore, si j’ose dire, péril en ma demeure, eh bien, attendons l’amitié qui se prépare, pour les connaître dans leur intégralité. Quel homme épris me blâmera jamais d’avoir fait ce petit calcul, et d’en avoir conclu à mon silence en ce moment ?

Je refoulai donc l’aveu qui me brûlait la gorge et j’attendis que se dessinât plus nettement l’intervention de M. Robert de Lieuplane. Pour l’instant, je voulais être tout à l’aubaine de Rolande, m’abandonner uniquement à la griserie de sa présence.

— J’ai cru comprendre tout à l’heure dans vos paroles, me dit-elle, que vous êtes restés longtemps séparés. Existait-il un dissentiment entre votre frère et vous ? En vérité, cela me surpren-