Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/201

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draitM. Sigerier ne manifestait jamais de rancune lorsqu’il était question de vous.

— En fût-il souvent question ? l’interrompis-je à nouveau, pour savoir jusqu’à quel point elle mènerait sur ce sujet la candeur du mensonge.

— Parfois… quand il se laissait aller à évoquer le passé… guand il nous parlait de sa famille, de ses amitiés… de ses amours…

Chère petite ! Je devinais bien où elle voulait en venir… et, en effet, l’interrogation que j’attendais coula tout naturellement de ses lèvres :

— Il était très bel homme, très distingué… très chic, enfin… à cause de cela les femmes le remarquaient beaucoup, et il y mettait du reste une certaine coquetterie… Oh ! sans fatuité ; mais enfin, il aimait qu’on le remarquât…

Ah ! comme j’avais bien fait de me taire ! J’allais progressivement tout savoir de moi. J’encaissais, il est vrai, pour débuter ; mais comme cette légère critique était loin de me déplaire, puisque j’y pouvais distinguer une jalousie rétrospective !

Elle continua :

— Et, sa notoriété aidant, vous devinez la récolte de succès. Vous en parlait-il quelquefois, de ses succès ?

— Il était très discret.

— C’est une qualité de plus. Mais avec vous, qu’il aimait, peut-être que, dans ses lettres…

— Non, jamais… affirmai-je.

— Pourtant, s’obstina-t-elle, il devait aimer quelqu’un. Un homme de son âge ne peut pas se consacrer uniquement à son art… Et, pour ma part, j’estime qu’il doit y avoir quelque raison féminine dans ce départ précipité. Peut-être est-il parti en enlevant une femme… cela se voit !

Ah ! vite, vite, calmer ce pauvre être abîmé par le soupçon ! Vite rasséréner ce front tendu par la jalousie ; abattre l’échafaudage dressé par ce