Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/203

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— Je regrette de ne pouvoir vous les confier, mademoiselle : c’est un secret de famille.

Elle se contenta de cette raison à la Boubouroche. Pourtant un pli subsistait encore à son front. Je conçus qu’elle remuait l’étonnement que son cher disparu ne lui eût rien envoyé à la poste restante, par laquelle nous communiquions lorsque les circonstances nous empêchaient de nous rapprocher. Je me promis de lui donner cette autre sécurité aussitôt son départ de chez moi.

Mais toutes ces émotions m’avaient épuisé. Au surplus, je me trouvais à jeun depuis vingt-quatre heures, et l’inanition réagissant sur mon système nerveux, je me mis à bâiller. Je m’en excusai aussitôt.

— Comment ! vous mourez de faim et vous me laissez bavarder ! Il fallait vous faire servir devant moi !

— Je n’ai pas de personnel. Mon frère a tout congédié.

— Pas de personnel ! s’apitoya-t-elle ; mais je ne veux pas vous laisser ainsi !... Je vous en chercherai, moi !... En attendant, je vous fais déjeuner. Nous trouverons bien quelque chose ici.

Et comme je protestais, déclarant vouloir m’en occuper moi-même :

— Non, non, restez au lit. Vous allez voir. Ce sera très amusant.

Ah ! je m’imaginais bien le prix qu’elle attachait à ces quelques moments de domesticité, où elle allait faire revivre la douce intimité de nos goûters dans l’apaisement de nos sens. C’était moi qui la servais alors ; je lui apportais les pâtisseries, les fruits glacés, le vin de liqueur, le thé bouillant ; et elle, les cheveux fous, une épaule sortant nue du kimono, croquait à belles dents, buvait avec des hésitations de petite chatte ; et mon régal était de la regarder plus que de savourer les friandises...