Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/209

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voulait. Je n’étais riche que de mon talent, et mes réserves étaient dans une autre maison.

Il me dit adieu, reprit le volant, disparut. Quelle délivrance ! Quelle aubaine, deux jours de liberté ! ... Et, cependant, par cette même inexplicable emprise, totalement étrangère au cœur, toute physique — et encore, d’un physique où l’amour n’entrait pour rien — je regrettais notre séparation, je le voyais s’éloigner comme s’il eût emporté un peu de mon être.

Quand je rentrai dans ma garçonnière, une fée avait passé, le ménage était achevé, la table servie, et une gentille soubrette attendait, qui me dit se nommer Anna et compter sur sa sœur comme cuisinière pour le lendemain. J’y reconnus l’initiative de Rolande et la remerciai secrètement. Je touchai du bout des lèvres au succulent repas envoyé de chez elle, puis me mis à mon secrétaire pour lui écrire. Que lui dire ? Par quoi commencer cette correspondance destinée à l'endormir, où je devais être un absent alors que mon cœur, ma main étaient d’une présente... Il y avait, il y aurait à me surveiller singulièrement. En aurai-je l’à-propos ?...

Pour cette fois, j’écartai la difficulté en lui adressant une lettre antidatée, pour expliquer ma fuite. La poste restante endosserait le retard. Je n’y mesurai ni ma tristesse, ni ma persistante ferveur. J’achevais ma lettre quand des sœurs se présentèrent, quêtant pour un orphelinat. Il n’était pas dans mes habitudes de refuser ; je donnais d’ordinaire pour me débarrasser ; mais, cette fois, il se joignit à mon aumône une pitié jusqu’alors inconnue pour les petits déshérités. À songer qu’ils n’avaient point de famille, mon cœur souffrait d’une angoisse maternelle. Allais-je donc, maintenant, me mettre à désirer l’enfant ? Je vidai ma bourse entre ces mains bienfaisantes, puis, démuni d’argent, je songeai à en ré-