Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/211

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Travailler, servir la Beauté, j’en ressentis l’impérieux besoin, comme de constater que mon inversion n’avait rien diminué de mon talent.

Je retrouvai mon atelier de la rue Lepic avec une émotion sacrée. J’eusse pressé contre mon cœur palettes et pinceaux. J’envoyai des baisers à mes toiles, à mes dessins, à mes esquisses. Tout mon effort, toute ma vie ! Et dans un coin, sous la lumière de la baie vitrée, tamisée par de la soie jaune, ce portrait en pied de Rolande, caché aux profanes par un rideau : l’image chérie, que je gardais pour moi seul, pour mon émerveillement, pour mon culte ! J’écartai le tissu, je me prosternai devant l’autel, j’adorai l’idole. Mais je dissimulai vivement mon trésor : on venait de frapper.

C’était un modèle, un homme d’une beauté romaine, que j’avais engagé pour des croquis avant mon aventure, et qui venait chaque jour aux nouvelles.

— Déshabille-toi... prends la pose que tu voudras.

Ah ! l’ivresse l’ivresse sans limites de retrouver les lignes, de fixer l’harmonie ! Si j’étais mort pour l’amour, je restais en pleine vie pour mon art ; et jamais dessin ne fut mieux venu, avec cette particularité, pourtant, que mon trait, tout en restant aussi ferme, offrait une délicatesse nouvelle.

À huit heures, je travaillais encore. Il fallut que l’homme se déclarât fatigué pour que j’abandonnasse mon fusain. Je rentrai à pied en bénissant le travail consolateur. Deux œufs, et je me couchai pour dormir douze heures.