Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/215

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— Vous vous intéressez donc tant à lui ? risquai-je pour la première fois.

Elle rougit :

— Oh ! oui, votre frère, voyez-vous, je le trouvais tellement différent des autres, tellement supérieur ! ... Il rayonnait par l’esprit, par la délicatesse du cœur, par le talent. Il était une force et un charme. J’aurais compris qu’une femme l’aimât au point de tout abandonner pour devenir sa compagne, son associée, son esclave s’il le fallait... Et c’est ce qui vous rend si précieuse à mon cœur, Georgette : c’est que vous lui ressemblez en tous points... Contez-moi votre jeunesse commune...

Je fus obligé d’inventer des choses, et je dois dire qu’elles n’étaient point à mon désavantage. Je décrivis le milieu familial, le grand parc aux arbres éployés, les lectures, têtes blondes penchées sur le même livre, et la prière, mains jointes, au pied du dodo, avant le sommeil bercé par les anges. Rolande palpitait, comme les enfants au récit d’une histoire merveilleuse :

— Encore !... encore !...

Et j’inventais, j’inventais, trouvant des souvenirs puérils si loin de ma réalité ! car, enfant unique, négligé par une mère malade et un père tout à des affaires difficiles, c’était en moi, en la nature, que j’avais puisé les éléments de mes émotions, de ma sensibilité, les premiers éveils à ce goût de peindre qui avait décidé de ma carrière.

Rolande s’y passionnait. Jamais, dans nos causeries d’après l’étreinte, je n’avais entrepris de ranimer mon enfance, et jamais elle ne s’en était inquiétée. Tout était laissé à l’enivrement des heures trop courtes... Maintenant, la sœur purifiait le frère ; et en la constatant si attentive à ces histoires puériles, si captivée par ce roman de bibliothèque rose, j’avais peine à me rappeler la maîtresse vibrante qu’elle avait été.