Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/216

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Notre intimité s’était d’ailleurs contentée jusqu’à présent, depuis que j’étais femme, de purs échangés sentimentaux. De sa part, d’esclavage absolu de son rêve menacé ; de ma part, aucun réveil des sens, qui m’eût poussé à un délire impossible. On eût dit que Tornada, en me douant de la virginité charnelle, m’avait en même temps refait un cœur virginal. Était-ce l’effet d’une cicatrisation, d’une adaptation intérieures qui, réagissant sur mon système nerveux, m’entretenaient dans ce calme ? Attendais-je une nouvelle puberté ? n’importe : je passais, insensible aux suggestions originelles que ne cesse d’étaler la vie. Amants tendrement enlacés dans la rue, affiches jetant aux murs leurs tableaux équivoques, animaux obéissant à la force de l’instinct, regards mâles me convoitant, rien, non rien ne parvenait à réveiller en moi l’appel ardent, à ranimer Eros, jadis mon dominateur. J’en étais même souvent déconcerté. Rolande et moi, de plus en plus unis, ne nous quittant pour ainsi dire pas, sauf aux moments où son mari l’exigeait au foyer, nous vaquions à nos occupations, courions les magasins, prenions le thé, traversions les expositions, en camarades éthérées et frivoles. Son mari, après m’avoir accueilli avec défiance, admettait maintenant avec une satisfaction évidente ma compagnie. Plusieurs fois, le ménage m’avait fait partager une loge au théâtre ; j’étais sur le devant, serré contre Rolande ; il m’arrivait de son décolleté, de sa chair de lys épanouie, ce parfum d’elle qui me grisait autrefois, qui exaltait mon désir jusqu’aux sommets de la passion — et je n’avais pas à lutter, pas à me réfréner. Je n’étais plus provoqué. Et c’était d’une douceur infinie, cette liaison harmonieuse, tranquille, épargnée aux jalousies, aux soupçons, aux rancunes qui gâchent l’amour.

Une seule ombre : Robert de Lieuplane. Maintes