Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois, avec une discrète sollicitude, Rolande avait tenté de m’interroger sur ce fiancé indigne de moi, sur la nature des sentiments que je portais à cet homme d’une autre essence que moi, alors que ma fortune m’assurait l’indépendance.

Mais j’avais toujours détourné son enquête, et le mystère subsistait pour elle, comme du reste pour moi. Du moins, d’un secret accord, manoeuvrions-nous pour l’éviter. Sans cela, il n’eût peut-être pas « décollé », de tous les instants où ses tractations sur les vins ne l’appelaient pas hors Paris. Il me pourvoyait en abondance de fleurs, de bonbons ; nous les respirions et les croquions avec Rolande : c’était mon dédommagement. Il s’était pourtant tellement installé dans mon avenir qu’il n’avait pas compris que je lui retirasse cette procuration dont il m’avait arraché la promesse. Il y voyait une atteinte à des droits établis par la force mystérieuse ; il y revenait constamment ; et son âpreté avait même occasionné plusieurs scènes où, sans nous expliquer, car il n’y avait pas matière à raisonnement, il avait cependant usé d’une autorité, d’un pouvoir conjugal qui m’effaraient. Un jour, je l’avais même chassé ; mais il était revenu le soir même, en homme que la fatalité ramène. Et, phénomène inconcevable, j’avais accueilli son retour avec reconnaissance, comme si, en le retrouvant, je fusse rentré en possession d’un peu de moi-même.

Toutes ces réflexions avaient, depuis un instant, suspendu mon bavardage. Je m’éventais mollement, les yeux portés vers mon énigme.

— À quoi pensez-vous ? fit Rolande, en touchant mon bras nu.

— À rien... ou plutôt, si : à ce que vous allez trouver que je flatte le caractère de mon frère... Que voulez-vous ? Je le vois ainsi... mais je reconnais fort bien aux autres le droit de n’être pas