Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/219

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Et Rolande, l’instant précédent, par le ton pénétré de ses questions, par sa religion à m’écouter,, manifestait pour moi la passion des héroïnes !

J’en fus abasourdi plus encore que meurtri. Quand elle revint prendre sa place à mes côtés, le teint animé, la voix vibrante encore, je ne me retins pas de lui jeter sèchement :

— C’est votre amant ?

Mais elle riposta, du même ton blessé, hautain, dont elle usait lorsque je la soupçonnais :

— Qu’osez-vous dire, mademoiselle !...

— Vous prenez un rendez-vous dangereux en tous cas !

— Est-ce que cela vous regarde ?...

Nous nous séparâmes fraîchement ce soir-là. Reconduit en voiture par mon fiancé, qui, sous l’empire des vins, critiquait les boissons auxquelles il venait de largement faire honneur, en route, je méditais une vengeance. Ah ! petite misérable, tu me trahissais ainsi ! Tu allais t’aventurer chez ce fabricant de musiquette, ce fournisseur d’orgues de barbarie, au mépris du souvenir sacré que tu me devais ! Eh bien, on verrait. Tu serais punie. Je connaissais une bonne façon de te ramener à la chaîne...

Ce n’est point que la rage m’emportât comme autrefois. Le dépit dépassait la colère. Il manquait à mon exaspération d’être appuyée par un froissement d’orgueil masculin. Il y manquait aussi la crainte d’être dépossédé d’un bien charnel, avec tous les spectacles de laideur que forge l’amant lorsqu’il imagine que sa maîtresse succombe autre part. Cela, maintenant, était lettre morte pour moi. Je ne concevais plus que ces torturantes visions pussent jamais me reposséder. Non, mon amertume ne s’écartait pas d’un domaine purement psychique... En me trahissant, c’était mon âme seule que Rolande allait sacrifier : son outrage n’entamait que ma tendresse.