Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/221

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— Je devine !... Oh ! que je suis contente !

Nous gravîmes lentement la rue Lepic. C’était l’heure ménagère. Brouhaha, cris d’étal, marché en plein vent... Insensible au mouvement si pittoresque de ce coin de Montmartre, Rolande gravissait la côte en s’appuyant à mon bras, comme au pèlerinage. Pèlerinage en effet, acte de dévotion, elle semblait prier en entrant dans mon atelier, le sanctuaire où nous avions pour la dernière fois fait communier nos lèvres...

— On est donc venu ici depuis qu’il est parti ? réfléchit-elle, avec une imprudence que je ne soulignai pas.

— Certainement. Moi.

— Je veux dire : on y a travaillé ?

— Moi, encore.

— C’est vrai, vous êtes peintre..

Elle se mit à inspecter l’atelier. Je l’observais. Elle passa sans sourciller devant le divan complice, devant son portrait. Puis elle tomba en arrêt sur une toile que j’achevais de brosser. Je n’avais pu résister a la tentation de copier le chef-d’œuvre que Tornada avait fait de mon anatomie. Je m’étais représenté dans le plus simple atour, uniquement vêtu d’un masque de velours noir.

— Quelle est cette femme ? interrogea-t-elle avec une anxiété que j’aimai constater.

— Moi, toujours.

— Et peinte par ?...

— Par moi.

— Ah ! par exemple !.., par exemple !...

Elle s’était reculée de quelques pas, fermant à demi les yeux, pour mieux étudier les détails de cette œuvre, qui pouvait compter parmi mes meilleures. Je notai son attitude professionnelle, imitée de ma façon de regarder les tableaux.

— Savez-vous, ma chérie, que vous êtes épatante !