Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Comme peintre ?

— Aussi... mais comme lignes, je ne crois pas qu’il existe à Paris, ni même peut-être au monde, un nu aussi parfait !

— Votre opinion ne changera-t-elle pas devant le modèle ?... fis-je, en me retirant derrière un paravent, pour me déshabiller et procéder à quelques retouches.

Quand je reparus devant elle, évoquant Ève avant la faute originelle, elle s’était installée sur le divan, à sa place favorite, et rejetait les volutes d’une cigarette d’Orient. Je lui avais assez inculqué le respect de mon travail pour qu’elle me laissât disposer le miroir et parfaire mon œuvre. Elle suivait silencieusement tous mes mouvements, sans presque oser bouger, les yeux grands d’émerveillement. Cela dura deux heures.

— Là ! fis-je, en rejetant ma palette.

— Venez près de moi, maintenant.

Je m’approchai, ému. Elle me fit place en s’arrondissant ; elle toucha mes bras au contour marmoréen ; elle caressa mes cheveux, assez longs maintenant pour que je pusse les ramasser en natte. Puis, attirant ma tête contre sa poitrine, en même temps, elle murmurait :

Je resterais ainsi, des heures, des années,
Sans épuiser jamais la douceur de sentir
Ta tête aux noirs cheveux sur moi s’appesantir
Comme morte parmi les lumières fanées...

Le chant dont je la berçais après l’étreinte, voilà qu’elle m’en charmait à son tour ! Sans équivoque possible, certes ; rien qu’une prière où palpitait son souvenir... et je fus sur le point de la continuer. Mais la prudence immobilisa, la divine musique sur mes lèvres, et aussi le désir d’apprendre.

— De qui sont ces vers, ma chérie ?

— De Samain.