Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/224

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pour établir ma personne dans la société ?... Il est vrai qu’avec de l’argent on obtient tout. Bref, la Femme au masque, de Georgette Sigerier, fut accueillie avec une faveur qui faisait pressentir la haute récompense. J’appris même, par Rimeral, à l’affût de tous les potins, que le jury, dont j’aurais dû faire partie, avait profité du succès de la sœur pour mésestimer sans pitié l’œuvre du frère absent : on avait prédit à Georgette l’Institut qu’on refusait à Georges. Des reporters, des photographes, dès la veille du vernissage, se cassèrent le nez à ma porte. C’était le triomphe.

Si Rolande le goûta pleinement avec moi, dans une véritable joie d’art, Robert, lui, n’y compta que la plus-value que j’allais désormais représenter. Ma fortune était déjà belle ; mais les billets de mille conquis en quelques coups de pinceau nous allaient permettre le grand luxe. Il ne se tenait plus de faire des projets somptueux. Les vins ne seraient plus qu’un accessoire, un passe-temps. Ça « colla » tellement dans ses prévisions qu’il parla de publier sans plus tarder nos bans. Je ne me révoltai pas. La fatalité me rivait à lui, et plus encore que je ne me l’imaginais.

Il lui était arrivé de disparaître à plusieurs reprises, sans légitimer son absence. J’étais toujours incapable de définir mes sentiments, mêlés de soulagement et d’inquiétude. Rien de la fiancée pour son futur époux. J’acceptais qu’on nous mariât d’autorité, comme jadis des princes, par raison d’État, pour associer des royaumes. Je ne me représentais pas que je pusse jamais échanger avec lui d’autres témoignages que ceux que nous échangions pour le présent : l’acceptation d un banal baiser sur le bout des doigts, ou bien, quelquefois, de sa part, une pression, une constatation plutôt de la fermeté de ma gorge, à laquelle je ripostais d’ordinaire par une tape désapprobative. Ainsi se défend une fille d’auberge explorée