Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/227

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m’apitoyer sur son anxiété progressive, sur la souffrance qui l’atteignait jusque dans sa santé, remplaçant le sommeil par d’amères hypothèses, la laissant sans appétit devant les mets les plus savoureux. Par-dessus tout, je comptais sur son désarroi pour devenir enfin son confident, car c’est en ces périodes de doute que les cœurs les mieux trempés se livrent, et la suite de cette histoire légitima cette prévision sentimentale. Les vrais amoureux me pardonneront ma cruauté.

— Vous avez tort de ne pas me croire assez votre amie, Rolande... déclarai-je doucement. N’allez pas vous imaginer que je n’aie pas remarqué votre bouleversement, vos sautes d’humeur depuis quelque temps. Vous en dire la nature exacte me serait impossible ; mais il n’y a guère que l’amour pour vous troubler à ce point. Allons ! Abandonnez-vous entièrement à moi. Et croyez bien que si je suis en mesure de vous servir...

Je m’offrais à la minute psychologique. Délaissant nos courses et l’auto qui nous y devait mener, elle m’entraîna, bras dessus, bras dessous, vers les allées du cours la Reine, pour l’instant relativement désert. Des oiseaux chantaient. Dans la tiédeur printanière, ah ! qu’il me fut doux de sentir l’autre tiédeur de son bras, m’étreignant plus fort à mesure qu’elle me livrait son secret, à mesure que son émotion croissante, au récit de ses propres tortures, se traduisait par un besoin physique de trouver en moi aide et consolation. Elle narra toute notre liaison, depuis le premier jour où je l’avais rencontrée chez les Chabrol ; et j’apprenais comment je l’avais séduite —source d’étonnement pour moi, car ce n’était ni par mon talent, ni par mon esprit, ni par ma beauté, ni par ma vigueur, mais par plusieurs petits détails insignifiants, comme d’avoir les mains soignées et de lui être apparu, un jour de dîner costumé,