Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/235

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land ; et tenez, offrez donc, en compensation, le bras à ma femme.

O mystère ! en le voyant obéir et mettre, comme il eût dit, Rolande « sous son aile », un petit coup d’aiguillon me traversa le cœur. Mais, entendons-nous bien : ce n’était pas l’homme qui était offensé en moi, l’amant jaloux de constater chez autrui une manifestation d’intimité avec celle qu’il adore : c’était la femme, la fiancée ; et j’en reviens à ce mot qui définit mieux que tout autre l’étrangeté de mon sentiment : c’était la propriétaire, émue d’une contravention à un bail de fidélité. Oui, c’est cela.

Fugitive émotion, du reste, de part et d’autre ; car, après avoir traversé hâtivement les deux premières salles d’exposition, nous arrivions à la troisième, où se trouvait mon tableau. Il stationnait, devant la Femme au masque, certainement au moins six rangs de spectateurs ; et j’entendais des exclamations la saluer, telles que j’en rougissais de plaisir sous mon ocre. « Admirable ! magnifique ! émouvant ! » étaient les seuls mots qui exprimassent l’enthousiasme... ils avaient beau être émis par des épiciers, cela fait toujours plaisir.

— Non ! mais, c’est le modèle, avec ça !... criait, à un copain, un homme au large feutre... Où a-t-elle trouvé ces nichons !... et cette hanche, mon vieux, tu crois que ça peut exister, toi ?... Il n’y a pas de lignes comme ça !... ce galbe, cette pureté, il faudrait remonter à la Grèce antique !... la civilisation a pourri la forme... On n’en fait plus !...

— Pardon ! on en fait encore !... protesta une voix aiguë, à laquelle je tressaillis.

C’était Lui. Il s’était cantonné sur la banquette centrale. Modestement, il savourait son succès, en promenant ses doigts dans les tortillons de sa barbe. Oui, son succès, puisque j’étais cette per-