Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/242

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l’unité ; déjà, dans les replis ignorés, la guerre destructrice, l’éternelle épopée de la nature marâtre !...

Ah ! fallait-il que mon chirurgien fût un génial prestidigitateur, pour avoir ainsi transporté d’un corps dans l’autre, et réciproquement, un mécanisme aussi délicat, sans qu’il en restât d’apparence, sans que les fonctions eussent à en souffrir... car mon mécanisme créateur entrait en activité, comme en témoignait mon aventure du jour ; et certainement, ce que, de moi, il avait greffé sur une autre, devait aussi commencer ailleurs son œuvre féconde.

Ailleurs... ce fut l’idée dominante de ma méditation après cette lecture, Dans la résignation de mon être asservi, retombé en gérance depuis l’opération, ne discutant pas plus mon sort que l’enfant qui éclôt dans la vie et en accepte toutes les fatalités, je n’avais réfléchi qu’en de courtes lueurs à la transmutation de Tornada. Mais maintenant qu’avec cet éveil de ma « féminité » je reprenais en même temps une personne morale, maintenant que mon individualité consciente commençait à renaître — et, m’apparaissait-il, à part quelques détails, à peu près identique à la précédente — j’entendais s’élever en moi de troublantes interrogations. Un chirurgien se voit dans la nécessité de vous enlever un bras : c’est un sacrifice que l’on fait à la santé ; on sait que cette section de vous va se désagréger, retourner à l’humus, servir de pâture à d’autres vies : on ferme cette petite tombe et le deuil n’est qu’à moitié. Mais un chirurgien vous soustrait en pleine vigueur ce même bras et, loin de l’enterrer, s’imagine d’en faire cadeau à un autre individu, avec toutes ses ressources de puissance, d’énergie, de vitalité, pour qu’il recommence, au gré d’autres inspirations, ses fonctions utiles : cela était arbitraire autant que si un Tornada de la