cette forme splendide : un cœur désemparé qui battait pour moi, et que j’en voulais être encore le protecteur. Hommage de l’esclave, empire du maître, admiration de l’artiste, tendresse de la sœur, il y avait toute cette complexité dans mon bonheur d’être auprès d’elle : toute la symphonie de l’amour, sauf l’amour de l’amant.
Elle se prêtait sans réserves à ces ingénues caresses échangées sous l’égide du cher exilé, dont j’étais devenu l’unique messager. Pour m’épargner toute complication d’agence, expéditions suivies de réexpéditions, et aussi pour épargner à Rolande les petites hontes de la poste restante, j’arrivais périodiquement, dans les délais du transit, porteur de la missive attendue. Je l’avais d’ordinaire écrite le matin même. J’y posais comme au hasard des questions relatives a des confidences de Rolande, ou à un événement que je voulais me faire expliquer. Je mettais ainsi à l’épreuve sa bonne foi, et constatais jusqu’à quelle mesure une femme peut, dans ses réponses, dissimuler la vérité à l’homme qu’elle aime. Car le confident est souvent, sur ce point, plus favorisé que l’être pour qui on mourrait.
Nous ouvrions la lettre ensemble ; nous la commentions ; ensemble nous rédigions la réponse.
Ce jour-là, elle s’arrêta d’écrire, leva vers moi ses beaux yeux d’azur :
— Il me dit qu’une femme vraiment éprise, comme il sait que le suis, doit à son amant lointain de ne jamais flirter. Que répondre à cela ?
— Eh bien, la vérité.
—- La vérité, c’est que je ne flirte avec personne.
— Crois-tu, Rolande ?... Quand, avant-hier encore, je te surprenais, assise, dans le petit salon, tout contre Rimeral, en train de rire aux éclats, en lui contant je ne sais quelle histoire scanda-