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Il sentait monter en lui un désir subit, qu’il voulait sur l’heure apaiser.

— Quelqu’un ? fit-elle ; celui qui me voudra.

— Alors, moi ?

— Si tu veux.

— Ton prix ?

— Ce que tu voudras.

— Tu es bien généreuse, ou bien imprudente !

— C’est que je sais ce que je vaux — et ce que je mérite !

— Où demeures-tu ? Partons !

— Oh ! c’est loin encore… Tiens, là-bas !

— Et quand peux-tu ?…

— Tout de suite.

Elle restait paisible, sûre d’elle-même, pudique à force de tranquille impudeur. Depuis qu’elle était née — et de qui, d’une autre hiérodoule du temple ? — n’avait-elle pas été destinée, religieusement, aux joies nécessaires à l’homme, au geste éternel qu’elle devait présenter, comme une offrande, à la déesse ? Ils s étaient arrêtés au bas des degrés. La rue de Léchéon s’ouvrait devant eux, plus large que cet escalier, dallée de pierres plates. Entre les colonnes à feuilles d’acanthe de ses portiques se dressaient sur des piédestaux des priapes ostentatoires. Sous les galeries, derrière ces portiques, les marchands, dans leurs cellules carrées, allumaient leurs petites lampes de terre cuite ou de cuivre. Sur la chaussée, mais à demi engagés dans un trottoir élevé, apparaissaient tout près d’eux quelques-uns de ces abris de pierre, franchement ornés d’emblèmes significatifs, que plus d’un siècle déjà auparavant la municipalité corinthienne avait dû faire édifier dans l’intérêt des mœurs : les marins du Léchéon sont des hommes rudes, insoucieux des délicatesses de la décence, lorsque, rencontrant une belle fille, facile et de leur goût, l’envie les prend de goûter avec