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elle un instant de plaisir ; ces réduits leur étaient destinés, ainsi qu’à leurs compagnes. C’est là que Théoctène entraîna Myrrhine, pour la première fois de sa vie sacrifiant à la Vénus triviale : car il était riche, sa famille des meilleures ; d’ordinaire il exigeait de l’amour des délices plus longs et plus raffinés. Quelques moments plus tard il regrettait cette impulsion : ayant joui de Myrrhine il ne se souvenait plus que de sa beauté, non d’une volupté qu’il avait à peine ressentie. Il ignorait sa demeure, elle avait dit seulement : « C’est loin… par là… » Corinthe est bien grande. Sans l’oublier tout à fait, il ne l’avait pas cherchée.

Et voilà qu’un jour qu’il menait son lévrier à la chasse, celui-ci tomba sur un lièvre qui le conduisit jusqu’aux sources chaudes, vers le golfe Éginète tout près du lieu d’où ils venaient de contempler le merveilleux et inquiétant spectacle de cette île enflammée vomie par la mer. De ces sources, les unes jaillissent au niveau de la plage ; on en avait fait des thermes couverts d’un dôme asiatique. Mais d’autres encore bouillonnent plus haut, parmi les oliviers. Le lévrier couleur d’argent bondit au cœur des broussailles ; Théoctène, se hâtant pour le suivre, découvrit tout à coup, derrière un fourré de lentisques, une petite fille nue, toute claire dans cette verdure un peu noire, qui prenant l’eau fumante dans le creux de sa main, en arrosait les toutes petites pommes de ses seins. Elle se tourna, voyant un homme, et cachant, avec la colline blonde qui le dominait, ce que le poète Rufin, en de semblables circonstances, appela « le petit fleuve Eurotas » — bien justement, puisqu’aux mortels chagrins l’antre où il prend sa source sait donner quelques instants d’oubli : car les femmes, quand elles sont surprises, quelles qu’elles soient, reprennent leur modestie. Tout