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d’abord Théoctène ne se rappela point son visage, n’ayant d’yeux que pour ce qu’elle voulait dissimuler. Mais elle, le reconnaissant, sourit, écarta naïvement sa main pour ouvrir les bras, et prononça :

— C’est vous, seigneur ?…

Puis, par un mouvement contraire, ayant rougi, elle s’accroupit dans l’eau pour y trouver un refuge :

— C’etait il y a quinze jours, dans la rue du Léchéon…

Elle non plus n’avait pas oublié cette seule et pauvre fois ! C’était donc la volonté d’Aphrodite ! Elle se donna, près de cette source dont la buée réchauffait l’ardeur de leurs corps. Tous deux revinrent ensemble vers Corinthe : passant sa langue sur ses crocs pour y goûter encore une saveur sanglante, le lévrier bondissait à leurs côtés ; puis il venait flairer cette femme, dont l’odeur, pour lui, était nouvelle.

Myrrhine avait conduit Théoctène dans sa cellule, l’une des vingt que louait, aux filles de sa sorte, Eurynome, matrone dont le commerce était devenu plus fructueux depuis que les Hérules avaient détruit le couvent des hétaïres sacrées. C’était une chambre étroite et bien humble, où l’on ne voyait qu’un lit bas, des murs tendus d’étoffe rouge, deux sièges d’osier, et une poupée de bois vêtue comme un enfant au berceau.

— Reste avec moi, dit Théoctène le lendemain. Tu auras une maison et des esclaves.

— Des esclaves, fit Myrrhine éblouie : et je pourrai les commander pour qu’ils te servent ?

— Oui.

— Je veux bien. Mais n’as-tu pas une maîtresse ?

— Certes. Je la renverrai, s’il te plaît.

— Renvoie-la. Tu peux me chasser quand tu