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pagandiste fort ardent, mais non sans prudence et sans adresse, montrant fort honnêtement deux attitudes, presque deux faces : en présence des gentils, insinuant sa foi par allusions d’abord indirectes et sous couleur de débats philosophiques, puis la prêchant aux convertis avec un enthousiasme où le prophétisme de sa race, eût-on dit, se pouvait encore déceler.

La ville entière s’agitait déjà dans le pressentiment de la nouvelle qui bientôt allait éclater. Matelots, esclaves, affranchis misérables, artisans qui vivaient aux abords des temples, et dont le commerce profitait de la piété des fidèles et des pèlerins, se félicitaient d’un événement qui flattait leurs passions ou leurs intérêts. Avant même que les agents du gouverneur eussent commencé de les animer, sincèrement, dans le fond de leur conscience, ils s’inquiétaient des présages apparus sur les flots, les imputant à la colère des Immortels contre les sacrilèges. La populace envisageait déjà les bénéfices que lui pourrait procurer le sac des maisons chrétiennes ; pourtant elle attendait, avant de s’y livrer, la promesse d’une complicité tacite de la part des autorités. Le rhéteur Pachybios annonçait une lecture où il devait répéter, avec un surcroît d’anecdotes piquantes, les accusations de son pamphlet contre les chrétiens ; et ceux-ci, de leur côté, se sentaient partagés entre le désir de s’assembler pour décider les mesures à prendre, encourager les hésitants, et la crainte de se signaler aux stationnaires, qui imputeraient ces assemblées à l’esprit de rébellion.

Onésime, depuis l’arrivée de l’évêque thessalonicien, était averti du danger. Toutefois, connaissant l’esprit de modération, la prudence temporisatrice du gouverneur, il ne croyait point que sa décision pût être immédiate et si brutale. Eutychia eut peine à le persuader que le temps