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conciliables ennemis. Quant aux masses populaires, il s’en souciait moins ; elles sont rapidement oublieuses, ce n’est pas d’elles qu’il se faut inquiéter ; n’écrivant point, vivant au jour le jour, il ne reste rien bientôt de leurs sentiments, qui se succèdent sans se ressembler.

En conséquence, il s’était résolu à convoquer d’abord les citoyens seulement imputés de christianisme, sans autres outrages à la divinité de l’Empereur, et qui n’avaient point été jugés assez intéressants pour mériter la prison : nous dirions aujourd’hui les prévenus libres. Assuré qu’il s’en trouverait un assez grand nombre dont les convictions n’étaient pas bien vives et n’ayant adhéré à la secte que par esprit d’imitation, non pas brûlant d’une ardeur passionnée, il ne doutait point d’obtenir assez aisément leur abjuration. Par le même motif, et non dans un esprit de cruauté, il ordonna qu’on fît comparaître devant lui les jeunes enfants de famille chrétienne. Il les interrogeait avant leurs parents. Si l’un d’eux s’obstinait, Pérégrinus passait bien vite au suivant, sans insister. Cette époque, comme toutes celles où l’humanité se fait peu féconde, estimait dans l’enfance quelque chose de rare et de précieux, lui était indulgente ; et bien peu de ces tout petits furent condamnés au supplice, encore qu’il s’en puisse trouver des exemples. Mais d’ordinaire, une voix rude suffisait à les terrifier. Parfois aussi Velléius jetait lui-même sur l’autel quelques grains d’encens, disant : « Petit, vois comme cela sent bon ! » Ils jouaient alors, insoucieusement, à provoquer cette vapeur odorante ; enfin, ils subissaient l’entraînement de l’exemple : et l’un après l’autre faisait comme il avait vu faire au précédent. Là-dessus Pérégrinus interpellait leurs pères, leurs mères : « Votre enfant s’est conduit d’une façon intelligente et sage. Ne l’imiterez-vous point ? »