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Et la plupart de ceux-ci, à leur tour, accomplissaient alors, devant l’autel, le sacrifice exigé.

C’était aussi une adresse de Pérégrinus, après leur avoir fait décliner leurs noms, de leur demander s’ils étaient « compétents », c’est-à-dire baptisés, ou bien seulement catéchumènes, comme c’était le cas de l’immense majorité ; car, à cette époque, et bien plus tard encore, on retardait de recevoir le baptême jusqu’à l’heure de la mort, afin de s’assurer la grâce totale de cette suprême purification. De ceux-là, donnant pour raison qu’ils n’étaient pas véritablement chrétiens, le gouverneur n’exigeait point qu’ils signassent la formule d’abjuration, et se contentait du sacrifice. Il fermait également les yeux, le plus qu’il était possible, quand un chrétien riche et influent envoyait un parent ou un esclave païens répondre à l’appel de son nom, et sacrifier frauduleusement pour lui. D’autres cédaient à la simple menace de la question, ou du moins dès que, mis sur le chevalet, ils avaient senti sur leurs chevilles le premier coin enfoncé dans les brodequins de bois. Cette sorte de consentement presque universel aux volontés de l’édit imposait aux autres prévenus. Ils en arrivaient à douter de la possibilité, de l’utilité de toute résistance, et sacrifiaient à leur tour. Ainsi, la première audience de cet immense procès qui devait faire passer devant Pérégrinus plusieurs centaines de Corinthiens, se termina par la déroute et l’humiliation des chrétiens. Le gouverneur s’applaudissait de son habileté.

Mais sa modération même, et le succès qu’elle avait remporté, ne pouvaient manquer d’inquiéter les plus fervents. Beaucoup étaient connus, et avaient été appelés devant le tribunal. Ils s’exaspéraient de n’avoir pu, ce jour-là, confesser leur foi, n’étant point sans soupçonner un calcul dans ce délai. D’autres, et non parfois les