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jouir, dans son existence misérable, cet homme des déserts arides ! Un aide du bourreau, le jetant sur les genoux, lui courba la tête vers le sol en tirant sur les cheveux. Il chantait toujours, ivre d’extase et de fureur. Le chef des tortionnaires, chassant l’air de sa poitrine avec un sifflement qu’on entendit à travers ce chant, fit tournoyer son glaive lourd, à deux tranchants, que des cordelettes de chanvre, roulées sur la poignée, lui mettaient bien en main. Les autres Circoncellions continuèrent le chant… La tête tomba. Un gamin tout nu, qui s’était mis à cheval sur l’arête aiguë du temple, pour mieux voir, lui lança, dans un jet de salive, les pépins de la grenade qu’il épluchait. Les Circoncellions poussèrent un grand cri de triomphe et de joie :

— Il est martyr ! Il est martyr ! Gloire à Pérennius le martyr ! À notre tour !

L’évêque Onésime et les autres chrétiens protestaient :

— C’est faux ! Les chiens ne vont pas au paradis ! Les schismatiques ne peuvent mériter la couronne céleste.

Donatistes et chrétiens de l’Obédience commencèrent de se battre sur l’Agora. Ils n’avaient pas d’armes, mais les hommes se sautaient à la gorge, et les femmes se déchiraient des ongles. Les légionnaires eurent beaucoup de peine à les séparer. Pérégrinus décida que tous ceux qu’ils avaient pu appréhender, quelle que fût leur secte, seraient astreints à exécuter les prescriptions de l’Édit, ou punis de mort. La foule avait enfin ce qu’elle souhaitait. Ayant senti l’odeur du sang, elle attendait que le reste du spectacle fût digne de ce début.

Pérégrinus en avait si bien conscience qu’il fit décapiter, séance tenante, plusieurs chrétiens du petit peuple. Il se vengeait aussi de la peur qu’il venait d’éprouver.