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de rédiger l’inscription qui sera gravée sur leur tombe, qu’ils cacheront…

Cléophon croyait comprendre. Sur ces douze martyrs, il y en avait neuf dont on ignorait les noms. Les trois autres étaient des diacres de l’Église, et cet Euryclès, relativement un homme d’importance, un propriétaire ; mais les neuf autres ? De pauvres diables : on n’avait pas eu le temps de s’informer. Dans la nécessité où l’on se trouvait de soustraire leur dépouille à la police, on faisait des martyrs anonymes. Alors : Saints de Dieu, souvenez-vous des autres !

Cléophon se sentit ému.

— Cela est beau ! dit-il. Il trouvait dans cette inscription un accent sublime et simple. L’homme au visage de faune reconnut :

— Je n’y suis pour rien. Ils m’ont dit ce qu’il fallait mettre. Seulement, je te le répète, ils avaient peur des solécismes. Mais en effet, cela est beau… Il y aura toujours de la beauté dans le monde, vois-tu !

Il récita ces vers d’une épigramme grecque :

Callirhoé sacrifie à Diane une boucle de ses cheveux ; à Vénus, une colombe ; à Héra, sa ceinture :

Parce qu’elle a passé honnêtement sa jeunesse ;

Parce qu’elle a obtenu l’époux qu’elle désirait ;

Et parce qu’elle eut de lui deux beaux garçons, qui vivent !

— Ils retrouveront cela un jour, les chrétiens, continua-t-il. Ils en diront autant, avec d’autres mots, d’une autre langue. Les hommes peuvent faire de la beauté, une certaine sorte de beauté, avec l’abnégation, avec le sacrifice, même avec la mort horrible ; mais pour faire toute la beauté, il faut tous les sens et la sensualité, il faut