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vérité alors on ne meurt pas. Voilà ce que j’ai toujours pensé. Tu me parles de l’immense volupté qu’inspire une possession divine. Moi, je ne regrette qu’une chose, hors l’absence de l’homme dont je suis la servante : qu’il n’ait point laissé une présence que j’eusse senti s’agiter en moi, et nous eût ressuscites l’un et l’autre. C’est en cela que les femmes de ma race ont toujours vu le bonheur et la vérité. Telle était la foi simple et certaine des Hellènes ; et je sais que tout ce que tu me dis est une erreur, puis que ce n’est pas cela.

Onésime là-dessus l’abandonnait. Il la pouvait supporter quand elle paraissait folle seulement ; il désespérait de l’amener à la foi quand il la trouvait ainsi résolue à borner ses désirs à la seule immortalité dont peuvent jouir les animaux par la chaîne sans fin de leurs générations : mais que les hommes, qui ont une âme, peuvent et doivent dédaigner.

Quand Onésime s’était éloigné, Aristodème, avec d’autres intentions, entreprenait Myrrhine. Il la louait subtilement d’aimer la vie, et de se refuser à croire qu’il en faille sacrifier les sûrs plaisirs à des promesses incertaines. Il l’aidait à en savourer la mémoire, pour elle demeurée si précieuse. Puis, avec une adroite perfidie, il insinuait que Théoctène n’avait pas été le seul à les lui faire connaître, espérant l’amener ainsi à concevoir que celui-ci même pouvait n’être pas le dernier. Elle répondait avec candeur :

— Il est vrai. Un grand nombre d’hommes ont joui de mon corps depuis mon enfance, et j’étais même si jeune, quand ma virginité fut immolée à la déesse, que je l’ai oublié. De tous ces hommes, ceux qui n’ont fait que passer, il ne me souvient pas non plus. Ils sont comme s’ils n’avaient jamais été. Les autres ?… Oui, il en fut un — ou deux. Ceux-là, à compter du jour que