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derniers moments réconforter son troupeau, n’eut pas besoin de l’encourager. Il attendait son tour avec impatience, prononçant des paroles confuses où l’attente de délices immortelles se mêlait à des images profanes. Du reste on se contenta de le suspendre, nu, par une jambe. Il mit plusieurs jours à mourir. D’abord il apparut sur ses traits une expression d’extase, puis il poussa des cris ; enfin il s’anéantit dans une torpeur heureuse. Mais Myrrhine était épouvantée.

La souffrance et la mort lui semblaient également insupportables ; sa chair se révoltait. Onésime avait renoncé depuis longtemps à la convaincre ; il estimait détestable et satanique une obstination, un endurcissement qui la condamnaient au martyre sans qu’elle put espérer la récompense que les chrétiens en attendaient. Il la regardait d’un œil triste. Mais quand le bourreau s’approcha d’elle pour la décapiter, un glaive lourd dans les deux mains, Onésime l’entendit murmurer :

— Ô Mère-Vierge !

C’était, dans sa terreur, l’invocation à Isis qu’elle proférait ainsi machinalement, comme au temps de son bonheur, dans toutes les occasions de surprise, d’appréhension, de souffrance. Toutefois ce n’était point à Isis que l’évêque pouvait penser. Il songea que l’intercession de la mère du Sauveur, à l’heure suprême, venait d’illuminer cette âme. Levant les mains vers Myrrhine, il la bénit ; tous ceux qui survivaient encore saluèrent comme une victoire, due à leurs prières et à leur propre martyre, la grâce qui venait de descendre… Le bourreau fit tomber d’un seul coup cette tête enfantine.

La nuit suivante, comme cela se pratiquait communément, les amis des chrétiens, ayant payé aux stationnaires de garde ce qu’il fallait