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cher ! bien plus que vous et moi ne saurions imaginer…

— Senor, — déclara ser Carlo, bouffonnant et grave, — je vous somme de m’expliquer, avec tous les détails, ce que Votre Suprématie Picturale prétend dire, quand Elle parle de tous les mensonges de la vie !

— Ser Carlo, — riposta don Juan Bazan, sinistre et bouffonnant, — je suis à la disposition de Votre Grâce ! Et je vais tout vous expliquer, par le menu, comme Elle daigne m’en prier !

— Qui, « Elle » ? — demanda le prince gênois, qui en oubliait son italien.

— Votre Grâce ! autrement dit : Vous-même, — précisa le peintre espagnol : — je parle la langue que vous me faites l’honneur de parler ; la langue des Cours, telle que tout chacun la parle à Rome et à Madrid, à Grenade et à Gênes. Au diable le français et ses formes démocratiques ! Il n’importe d’ailleurs. J’obéis sur-le-champ à votre commandement, et je commence :

Il toussa pour s’éclaircir la voix. Puis :

— À bord de ce yacht de bénédiction, nous ne sommes tous que de merveilleux menteurs. Oui ! vous, moi, les autres… Hommes, femmes, enfants… Encore n’y a-t-il pas d’enfants, sauf, à la rigueur, si Votre Grâce l’autorise, ce comte et cette comtesse de Trêves, qui ne sont guère que deux tout-petits… Mais passons ! Ici, même les tout-petits mentent, mieux et pis qu’arracheurs de dents.

— Comment l’entendez-vous ? — demanda, amusé, le prince italien.

— Ainsi, — expliqua le peintre espagnol, — ainsi l’entends-je : que le plus sincère, que le plus loyal d’entre nous cache en son pardedans des trésors de duplicité, et que, sous prétexte de politesse, de savoir-vivre ou de réciproque tolérance, nous nous engeignons les uns les autres