Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/41

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avec la plus candide et la plus innocente mauvaise foi ! Voyons ! ser Carlo, songez donc seulement que Mrs. Ashton, qui feint d’adorer son mari, ne déteste pas M. de la Cadière ; que Mme Francheville, qui feint de n’adorer personne, adore celui que Mrs. Ashton ne déteste pas ; que M. de Trêves, qui proclame à tous vents son amour conjugal, le proclame probablement pour s’en persuader soi-même ; que Mme de Trêves, qui n’a d’yeux que pour son époux, a dans sa poche des yeux de rechange, dont elle regardera tôt ou tard qui lui chantera ; que lord Nettlewood, dont le Sinn Fein détient pratiquement le domaine irlandais, parle tout le temps d’équité et de justice, mais fait en sous-main condamner à mort ses paysans, coupables de revendiquer leur titre à posséder leurs champs héréditaires et leur droit à s’enorgueillir de leur patrie ancestrale. Songez aussi que Mr. Ashton, qui fait mine d’ignorer, dur comme fer, que sa femme connut, de-ci de-là, au cours de sa vie conjugale, diverses distractions qui ne l’étaient point, n’en ignore vraisemblablement rien, et sut toujours fermer les yeux sur tout, sauf à y trouver son bénéfice… Songez enfin, cher prince et ami, que la vieille Mme d’Aiguillon, de parti pris, n’a jamais cessé de nous croire tous, tant que nous sommes, plus vertueux que les Saints du Saint des Saints, et qu’elle n’est, ce nonobstant, nullement idiote… Quant à vous et quant à moi, la courtoisie la plus honnête et la plus puérile m’interdit de nous mêler en rien à la discussion présente. Mais je n’en conclus pas, pour si peu de chose, que nous ne sachions, moi comme vous, mentir aussi bien qu’homme d’Espagne et d’Italie, ou de France, ou d’Angleterre… et que nous ne fassions usage, aussi souvent qu’il faut, de cette science du mensonge que nous enseigna la vie…