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s’était rejeté sur tout son personnel et l’avait rudoyé tant qu’il avait pu pour que le couvert, au moins, fut dressé impeccablement.

On commença, comme d’usage, par des hors-d’œuvre. Les croustades à la reine alternèrent avec les tartines de caviar. Après quoi il y eut une entrée ; des quenelles de bonites — premier plat chaud ! — (les bonites sont des poissons qu’on pêche assez communément dans l’Atlantique Tropical.) Ensuite vint le relevé : une bouillabaisse en gelée, d’un assaisonnement providentiel. Le second plat chaud succéda : des côtes de moufflon à la diable. On avait cueilli ces moufflons sur les hauteurs de Madère, six jours plus tôt ; et, depuis, leurs côtelettes mûrissaient dans une marinade énormément poivrée, qui les avait attendries à miracle. Enfin, un aspic de foies de goélands (il y a des goélands partout, et quelques très rares cuisiniers savent accommoder le goéland à toutes les sauces les plus gastronomiques) terminait assez savoureusement ce déjeuner, auquel rien, en vérité, ne manquait, et dont Sa Seigneurie put tout de bon s’estimer glorieuse.

— Mylord, — affirma le peintre espagnol don Juan Bazan, — nous nous sommes, toujours, sous la présidence de Votre Seigneurie, nourris de pure ambroisie. Mais, s’il m’était permis de choisir cependant, et de préférer, j’oserais affirmer qu’aujourd’hui, parmi la lave et le basalte de cette île au Grand Puits, la chère fut plus délectable encore qu’à l’ordinaire, entre le teck et l’érable des boiseries du yacht Feuille de Rose !

— Vous êtes, — prononça tout souriant lord Nettlewood, — un flatteur de l’espèce la plus vile.

— Il n’importe d’ailleurs en rien, — trancha le prince Alghero : — mylord quelque mépris que Votre Seigneurie puisse affecter à l’égard de mon excellent et talentueux ami don Juan Bazan,