Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/75

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quelque chose ! Aussi bien vous êtes-vous trompé, et ce n’était pas de la mort que je vous parlais tantôt… Nous autres, gens nés, savons par atavisme la regarder en face, et la regarder sans émoi… Je vous parlais de l’au-delà, Reggie !… Et j’y reviens, quoique vous ayez fort bien dit… quoique, en effet, nous ne sachions rien de cet au-delà… rien ! ni vous, ni moi… J’y reviens cependant, parce que, malgré notre ignorance réellement absolue, nous avons tout de même, vous comme moi, moi comme vous, vécu, selon la Loi du Seigneur, en vrais chrétiens, en bons protestants… et parce que donc nous croyons à Dieu, et au Jugement, et au Paradis, et à… à l’Autre Endroit… Reggie, Reggie, j’ai peur… J’ai peur abominablement !… Vous-même, n’avez-vous pas peur aussi, peur comme moi ?…

Étonné, Reginald Ashton considérait son patron, son « fort » patron, ainsi décomposé :

— Mylord ?… est-ce tout de bon ?… Votre conscience est si lourde ?

Mais le lord de Galloway baissait le front, bas, bas :

— Elle est plus lourde encore, Reggie ! Elle est trop lourde, et j’en suis écrasé ! Reggie, Reggie, vous ne vous en doutiez donc pas ? vous n’avez donc jamais songé à rien ? vous n’avez donc jamais vu, en rêve, l’Irlande, mon Irlande, mon Irlande épouvantable ? ni le Sinn-Fein ? ni les oppressions, ni les expulsions, ni les représailles ? ni les exécutions ?…

Il hoquetait.

Ashton, le menton haut, écarta, d’une pichenette encore, toutes ces visions :

— N’est-ce que cela, vieux cher garçon ?

— C’est cela, surtout… et tant d’autres choses qui s’ensuivent…