Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/385

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pres… Ils s’empareront de l’affaire, pâture d’un jour ou d’une semaine, ils fouilleront dans mon existence entière, dans mes bassesses intimes, joyeux remueurs, crocheteurs à tant la ligne, ils me livreront au carnage de millions d’êtres avides, à leurs bons lecteurs carnassiers. Coupable ou non ? à pile ou face…

Le magistrat lui-même, son idée première est-ce qu’elle ne sera pas de m’inculper ? Cet homme commencera par tirer sur moi. C’est sa fonction de le faire. C’est son métier. Demain les policiers diront, méprisants, satisfaits : « Il a tout de suite balbutié ». Et c’est une chose effroyable que de penser que si je balbutie, aux yeux de ces gens-là je suis coupable. Mais moi je le sais, je le sens ; le trouble qui est dans mon cœur troublera ma voix ; et ils m’arrêteront. (Avez-vous un alibi ?) Et puis la prison, les interrogatoires, la cour d’assises, la probabilité de la condamnation, et puis, par un matin semblable à celui-ci, du même morne…

Ah ! c’est fou ! c’est fou !

Tant pis !

Tout, oui, tout est contre moi.

Tout me porte à croire que Marie-Anne s’est frappée ; jamais je n’ai vu dans ses yeux cette résolution inexorable. Et dites-moi : que voulez-vous que l’on pense si les magistrats concluent au crime ? Exactement je suis dans la main du médecin légiste ; ma vie est suspendue aux conclusions de sa science confuse.

Je suis le criminel s’il conclut au crime. Je suis venu dans la chambre, le poignard m’appartient. Ma protestation, la protestation du séducteur, uniquement verbale, a déjà contre elle un fier argument de moralité. En vérité nulle cause n’est moins embrouillée, n’éclate d’autant de